Ouestafnews – Depuis le coup d’État du 26 juillet 2023, le Niger traverse une période de troubles et de restrictions des libertés fondamentales, a estimé Amnesty International (AI). AI a publié un rapport qui dresse un bilan accablant de la situation au Niger depuis la prise du pouvoir par le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP).
« Il existe une situation de dégradation l’espace civique et des droits civils et politiques » au Niger, constate Marceau Sivieude, directeur régional par intérim d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. M. Sivieude s’exprimait lors d’une conférence de presse en ligne organisée par AI et suivie par Ouestaf News. La rencontre virtuelle était l’occasion de présenter son rapport intitulé « Niger – Menacés et mis au pas : les droits humains et l’espace civique sous pression depuis le coup d’État du 26 juillet ».
Selon l’organisation de défense des droits humains, les résultats de son rapport sont basés sur 36 entretiens menés, entre juillet 2023 et janvier 2025, avec des journalistes, des défenseurs des droits humains, des avocats, des professionnels de la justice et des victimes de violations.
Elle précise avoir tenté, à plusieurs reprises, d’entrer en contact avec le gouvernement, en vain, jusqu’à la publication du rapport.
Le rapport de l’ONG dénonce un régime qui « réprime les voix critiques » et « sape l’État de droit ». Il met en exergue trois types de violation des droits humains dans le pays : « un cadre juridique défaillant, des détentions arbitraires et des attaques contre la presse et la société civile ».
Depuis le coup d’État et la suspension de la Constitution de 2010, le 28 juillet 2023, « le Niger est gouverné par ordonnance », a souligné Ousmane Diallo, chercheur au bureau régional d’Amnesty International sur le Sahel. « Il n’y a même pas de charte qui gouverne la transition, tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains du CNSP », ajoute-t-il.
Une justice qui se résume à une Cour d’Etat
Après la prise de pouvoir, le gouvernement de transition avait annoncé plusieurs nouvelles institutions dans une ordonnance organisant la transition de juillet 2023. Selon AI, en janvier 2025, seule la Cour d’État avait été mise en place, ce qui constitue « un retard significatif » dans l’établissement d’un cadre juridique stable.
La Cour d’État, créée par la junte militaire du Niger en octobre 2023 pour remplacer la Cour de cassation et le Conseil d’État, est désormais la plus haute juridiction du pays et concentre désormais tout le pouvoir judiciaire dans le pays.
Parallèlement à cette carence institutionnelle, les autorités ont multiplié les mesures restreignant les droits humains. C’est ainsi, rappelle le rapport d’AI, en juin 2024, le CNSP a renforcé la répression en rétablissant dans la loi de 2019 sur la cybercriminalité les peines d’emprisonnement, accentuant ainsi les restrictions sur la liberté d’expression.
AI ajoute qu’en août 2024, une ordonnance a permis de créer un fichier des personnes, groupes ou entités considérées comme menaçants les « intérêts stratégiques » du Niger. Une inscription dans cette liste entraîne le gel des avoirs, des restrictions de circulation et, dans certains cas, la déchéance de nationalité, sans condamnation préalable.
D’après l’ONG, cette évolution juridique s’inscrit dans une dynamique plus large de durcissement du contrôle des citoyens et des médias, rendant toute critique contre le régime potentiellement passible de sanctions sévères. « Si tu es critique, sois sûr que ta place sera en prison », note le directeur régional par intérim d’AI.
Selon Marceau Sivieude, « il existe des pratiques autoritaires » visant à réduire au silence toute voix dissidente. Les autorités justifient leurs actions au nom de la « souveraineté retrouvée » et de la « sauvegarde de la patrie ».
Le rapport souligne que l’ancien président Mohamed Bazoum, son épouse Hadiza Mabrouk et plusieurs hauts responsables de son régime déchu restent détenus malgré « des décisions judiciaires favorables à leur libération ». Cette situation pousse le chercheur Ousmane Diallo à dénoncer « l’intrusion du tribunal militaire dans ces décisions » et « la normalisation de l’arbitraire » dans le pays.
En plus de la justice nigérienne, une décision de la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) en décembre 2023 avait, elle aussi, exigé la libération de l’ancien président et de ses proches.
À cette époque, le Niger faisait encore partie de l’organisation ouest-africaine avant de la quitter le 29 janvier 2025, en compagnie du Burkina Faso et du Mali, tous membres fondateurs de la Confédération de l’Alliance des États du Sahel (AES).
Le retrait de la Cedeao réduit les moyens de pression internationaux pour un retour à la démocratie et au respect des libertés fondamentales à Niamey, estime Ousmane Diallo, d’Amnesty International.
Presse et société civile réduites en silence
Au-delà des détentions arbitraires, le rapport d’Amnesty International constate l’intensification de la répression visant la presse et la société civile au Niger. En janvier 2024, la Maison de la presse nigérienne qui regroupe 32 organisations médiatiques, a été suspendue et remplacée par un comité ad hoc dirigé par le secrétaire général du ministère de l’Intérieur.
Plusieurs journalistes ont été arrêtés tandis que des médias internationaux, tels que RFI et France 24 en août 2023, puis la BBC en décembre 2024 pour une durée de trois mois, ont été suspendus. Parmi les cas emblématiques de cette répression, Ousmane Toudou, journaliste et ancien conseiller de Mohamed Bazoum, ainsi que Soumana Maïga, directeur de publication du quotidien L’Enquêteur, ont été arrêtés en avril 2024 et inculpés pour « trahison et complot contre la sécurité de l’État ». Des accusations jugées arbitraires par les défenseurs des droits humains.
Selon Amnesty International, la Direction générale de la documentation et de la sécurité extérieure (DGDSE) joue un rôle central dans cette répression en multipliant les détentions secrètes, les disparitions forcées et les actes de torture physiques et psychologiques.
L’organisation cite notamment les cas de Samira Sabou et Moussa Tchangari, figures de la société civile, victimes d’intimidations, d’arrestations arbitraires ou de disparitions forcées.
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