Sénégal: «La dissolution de l’Assemblée nationale avec des élections anticipées n’est pas à exclure»

Le 2 avril, lors de son discours d’investiture à Dakar, le président Bassirou Diomaye Faye a promis de « construire un Sénégal nouveau » et de réaliser « un changement systémique » à la tête de l’État. Cent jours après, qu’en est-il réellement ? Les promesses de l’ex-mouvement Pastef sont-elles en train d’être honorées ? Le président Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko parviennent-ils à se partager le pouvoir sans accrocs ? Mamadou Lamine Sarr enseigne les sciences politiques à l’université numérique Cheikh Amidou Kane et répond aux questions de Christophe Boisbouvier depuis Dakar.

RFI : Comme promis, le Pastef au pouvoir a baissé le prix de plusieurs denrées de première nécessité comme le pain, le sucre, l’huile de palme… Mais, est-ce que cela ne risque pas de mécontenter les producteurs, notamment les boulangers et les meuniers ?

Mamadou Lamine Sarr : Oui, il y a toujours ce risque-là, mais je pense que les dernières diminutions de ces prix de denrées de première nécessité ont été faites globalement avec ces acteurs-là, même s’ils n’ont pas été d’accord à 100 % avec l’État sénégalais. Mais les discussions ont eu lieu et je pense que c’est une première vague, et je pense que, peut-être d’ici à quelques mois ou d’ici à quelques années, il y a d’autres secteurs – par exemple, je pense notamment au secteur de la construction, le ciment, etc. – où les Sénégalais attendent effectivement que les choses soient beaucoup plus flexibles qu’elles le sont aujourd’hui.

Toujours sur le plan économique, le Pastef a promis de renégocier les dividendes du pétrole et du gaz avec les compagnies qui vont exploiter ces hydrocarbures, notamment BP British Petroleum. Mais dans la pratique, est-ce que cette promesse est réalisable ?

Ce sera très difficile, mais ces compagnies-là ont également des intérêts à travailler, à rester au Sénégal.

En tout cas, depuis trois mois, il ne s’est rien passé…

Oui, cela prend du temps. Il est beaucoup plus difficile de renégocier un contrat que de faire baisser le prix des denrées alimentaires. Donc la meilleure solution, c’est effectivement de s’entendre avec ces acteurs-là. L’autre solution, qui est la solution extrême, c’est effectivement passer en force. Mais cela,également, c’est quelque chose à mon avis qui n’est pas souhaitable parce que cela n’incite pas les autres acteurs économiques à venir investir ou à travailler avec le Sénégal.

Sur beaucoup de sujets, y compris en politique étrangère, on l’a vu lors de la visite de l’opposant français Jean-Luc Mélenchon à Dakar, c’est le Premier ministre Ousmane Sonko qui monte en première ligne. Est-ce à dire que, dans le tandem au pouvoir, c’est Ousmane Sonko qui tient le guidon ?

Je ne dirai pas ça. Je pense que cela fait partie de la personnalité des deux. Ousmane Sonko, c’est quelqu’un plutôt qui va au front. Même si en matière de politique étrangère, et c’est la Constitution qui le dit, c’est le président de la République qui reste l’acteur central qui oriente, qui définit. Et je pense qu’aujourd’hui la posture du président Diomaye Faye à mon avis, me semble la bonne. Le fait d’aller faire des visites un peu partout dans la sous-région, de se rendre en France par la suite et en Europe, montre qu’il n’est pas prêt lui également à laisser ce domaine-là à Ousmane Sonko.

Donc, je pense qu’il y a quand même malgré tout une bonne répartition des rôles, même si c’est le personnage et l’attitude d’Ousmane Sonko qui marquent le plus. Mais fondamentalement, je pense que le président de la République tient encore les rênes, non seulement en matière de politique étrangère, mais en matière de politique nationale.

Est-ce qu’Ousmane Sonko se comporte comme chef du gouvernement ou encore comme le chef d’un parti politique ?

Oui, bonne question. Je pense que parfois, il a du mal à se déshabiller en tout cas de l’habit de l’opposant. Mais je pense que cela est tout à fait normal. Dans toute l’histoire des États, l’arrivée au pouvoir n’est pas aussi évidente que ça. Il faut du temps pour que les décideurs portent leurs nouveaux habits, qu’ils prennent leurs responsabilités, qu’ils prennent leurs marques. Et je pense que, petit à petit, il saura mettre un peu d’eau dans son vin pour pouvoir discuter avec l’opposition.

Je pense qu’il y a des choses à améliorer, en tout cas en ce sens-là, mais globalement quand même, il montre qu’il est le Premier ministre du pays, ce qu’on ne peut que saluer, même si, encore une fois, il y a des choses, notamment sur son rapport avec l’opposition à l’Assemblée nationale, notamment sur la question de la déclaration de politique générale. Il y a des choses à mieux faire, à ne pas tout surjouer à mon avis, et je pense que ça va venir avec le temps.

Alors justement, depuis quelques semaines, il y a un bras de fer entre l’Assemblée nationale à majorité pro Macky Sall et le Premier ministre Ousmane Sonko qui pose des conditions avant de faire sa déclaration de politique générale, est-ce qu’un compromis est possible ?

Je pense qu’un compromis est possible. Il faut dire que sur ce point-là, les responsabilités sont partagées, notamment du côté de l’Assemblée nationale qui n’a pas mis à jour, n’est-ce pas, son règlement quant à la reconnaissance du Premier ministre. Malgré tout, je pense que quand même, il y a moyen d’aboutir à un consensus là-dessus.

Et ce bras de fer entre le Pastef au pouvoir et les pro-Macky Sall à l’Assemblée nationale, est-ce que ça ne va pas se terminer par une dissolution de l’Assemblée nationale au mois de septembre ?

C’est une possibilité et on ne peut pas l’exclure effectivement parce qu’à un moment donné, le Pastef aura également besoin d’une majorité à l’Assemblée nationale pour gouverner plus dans le calme si on peut le dire ainsi. Donc c’est une possibilité. Je pense que, en ce moment, autant comme je disais tout à l’heure, le Premier ministre peut-être dans certains cas n’a pas encore dévêtu l’habit de l’opposant. Mais également, je pense que l’opposition, dans certains cas également, n’a pas encore pris en compte tout à fait qu’elle a perdu le pouvoir et qu’elle n’est plus aux manettes du pouvoir, en tout cas du pouvoir exécutif. Et donc chacun d’eux, à mon avis, doit avoir l’esprit républicain pour aboutir à un compromis sur pratiquement tous les sujets sur lesquels ils sont interpellés.

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