[DAKAR] Une microalgue marine toxique est à l’origine de la « mystérieuse maladie » cutanée qui a touché plus d’un millier de pécheurs sénégalais de la petite côte de Dakar, il y a cinq ans.
C’est ce que révèlent les résultats d’une étude récemment publiée dans la revue Embo Molecular Medicine.
L’enquête pour déterminer les causes exactes de cette maladie, caractérisée par une éruption cutanée et des brûlures sur la peau, a été menée par une équipe de scientifiques internationaux dont des chercheurs sénégalais.
“Il est important que les acteurs du secteur à divers niveaux soient informés du risque que représente cette microalgue et des bons réflexes à avoir en cas de suspicion de contamination”
Aboubacar Fall, chef du service des pêches et de la surveillance de Pikine
« Nous avons identifié la cause (de la maladie, ndlr) : une toxine, la portimine A, produite par une microalgue marine, Vulcanodinium rugosum. Cette toxine provoque une inflammation sévère de la peau, entraînant ces lésions graves, qui ont été constatées en 2020 et 2021 sur des pêcheurs artisans au Sénégal », explique Patrice Brehmer, écologiste des pêches et chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), représentation de Dakar.
Pour parvenir à ce résultat, la collaboration entre les chercheurs a été déterminante, souligne l’écologiste des pêches qui est l’un des principaux auteurs de l’étude en question.
« Notre approche a été résolument multidisciplinaire et collaborative. Nous avons combiné des analyses de laboratoire sur des échantillons d’eau, d’algues et de tissus, avec des enquêtes de terrain approfondies auprès des pêcheurs », explique-t-il.
Une importance particulière, poursuit-il, a été accordée à la collecte des témoignages des pêcheurs et « à l’analyse des diagnostics établis par des dermatologues comme Hadi Hakim ».
« La collaboration avec des experts de diverses disciplines et de différents pays a été essentielle, car elle nous a permis de réunir un large éventail de compétences », ajoute Patrice Brehmer.
A en croire ce dernier, une fois exclues certaines hypothèses telles que les infections virales ou bactériennes et la pollution chimique, la probabilité d’une algue toxique est devenue de plus en plus « plausible ».
« La comparaison avec un cas similaire survenu à Cuba en 2015, rapporté par Philipp Hess de l‘institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER), a été un élément crucial de notre enquête », précise cette source.
Changement climatique
La mise en place d’une mission en mer en 2020 par la brigade de l’environnement de la gendarmerie nationale et la mise en place d’un groupe d’experts locaux, sous la direction de Mamadou Fall, directeur du Centre antipoison de Dakar et chercheur à l’UCAD, ont également été déterminantes pour la collecte d’échantillons et l’orientation des recherches.
« En 2021, nous étions beaucoup mieux préparés qu’en 2020 pour la collecte en mer, car nous savions ce que nous devions chercher », soutient Patrice Brehmer.
Pour Alioune Faye, enseignant-chercheur à l’Institut des sciences de l’environnement de l’université Cheikh Anta Diop et spécialiste des écosystèmes marins et des ressources marines et côtières, les résultats de cette étude constituent une « avancée majeure » pour les sciences de l’environnement marin et la gestion des ressources halieutiques.
« Ils ont permis de mieux comprendre les dynamiques des efflorescences algales nuisibles et de voir d’autres aspects de l’impact du changement climatique sur l’écosystème marin », dit-il.
« De plus, cela éclaire sur l’accumulation des toxines tout au long de la chaine alimentaire, ce qu’on appelle la bioaccumulation », ajoute-t-il, relevant que cette étude aura un impact sur les futures orientations dans le cadre de la gestion des ressources halieutiques.
L’universitaire est également convaincu que cette étude et ses résultats exerceront une influence sur la stratégie de gestion des pêches et impacteront la réglementation sur la qualité de ses produits.
« Cette étude renforce également la capacité des chercheurs à proposer des politiques de conservation adaptées pour garantir la durabilité des ressources halieutiques et la résilience des communautés côtières face aux perturbations environnementales », affirme Alioune Faye.
Pour lui, il importe aussi de souligner l’importance de l’approche pluridisciplinaire adoptée par l’équipe de recherche. « Cela a, sans nul doute, contribué au succès de l’étude », dit-il.
Processus complexe
Pour Aboubacar Fall, chef du service départemental des pêches et de la surveillance de Pikine près de Dakar, la question fondamentale à laquelle il faut à présent répondre est de savoir la provenance de cette algue.
« Il y a certains pêcheurs qui ont insisté sur la présence d’un bateau qui procédait au transfert de sable en mer. D’où l’hypothèse que l’algue proviendrait de ce sable… Il y a les changements climatiques qui, peut-être, ont favorisé le déplacement de cette microalgue dans nos eaux. Ce sont plusieurs hypothèses qui doivent être élucidées », estime-t-il.
Patrice Brehmer insiste aussi sur la nécessité de prolonger les études pour comprendre pourquoi et comment cette microalgue s’est développée au Sénégal.
Selon lui, plusieurs facteurs ont contribué à la durée (près de 5 ans, NDLR) de cette étude. « Tout d’abord, le fait que les premiers pêcheurs atteints n’aient pas immédiatement signalé leurs symptômes aux autorités a impacté négativement nos investigations. L’océan, par nature, disperse rapidement les polluants, quelle que soit leur origine, ce qui a rendu la localisation de la source de la toxine plus difficile », explique-t-il.
Ensuite, ajoute le chercheur, « nous avons dû écarter de nombreuses hypothèses avant de pouvoir nous concentrer sur la piste des microalgues. L’identification précise d’une toxine comme la portimine A, ainsi que de la microalgue Vulcanodinium rugosum elle-même, qui n’a été découverte qu’il y a une dizaine d’années, est un processus complexe et exigeant ».
Vulgarisation
Pour les autorités, les services compétents de l’État travailleront à la vulgarisation des résultats de cette étude. « Il est important que les acteurs du secteur à divers niveaux soient informés du risque que représente cette microalgue et des bons réflexes à avoir en cas de suspicion de contamination », précise Aboubacar Fall.
Il ajoute qu’un système de surveillance de ces microalgues toxiques sera mis en place tout en veillant à réduire la pollution marine et en préservant la qualité des eaux afin de limiter les facteurs favorables à leur apparition.
Les chercheurs recommandent aux pêcheurs de prendre des précautions lors de la manipulation des filets et de l’eau de mer, de porter des équipements de protection et de se rincer à l’eau douce. De consulter les postes de santé sans délais en cas de contamination.
Patrice Brehmer et l’équipe de scientifiques conseillent aux autorités de mettre en place un système de surveillance des algues toxiques couplé au suivi de la pollution marine et de sensibiliser les populations pour éviter les erreurs de diagnostic.
Plus globalement, il est important, soutiennent-ils, de renforcer la recherche sur les toxines marines et la surveillance de la pollution marine, qu’elle soit d’origine anthropique ou naturelle.
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