Dans la série sur la guerre froide en Afrique, le premier volet est consacré Juste après l’indépendance, aux opérations de déstabilisation que les services secrets français ont monté contre le régime de Sékou Touré. L’opération Persil en 1959 devait « punir » le dirigeant guinéen jugé trop proche du bloc de l’Est et l’écarter du pouvoir. Récit.
Une enquête d’Olivier Toscer
« nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage » Sékou Touré
Février 1959 à Dakar (Sénégal). Une demi-douzaine de militaires du 11ème choc, le service Action du SDECE, le service d’espionnage extérieur français, prennent leur quartier dans une grande villa du quartier de Hann Pecheur.e groupe, habillé en civil, est dirigé par le capitaine Freddy Bauer, un gros bras qui arrive d’Algérie.
L’opération secrète, décidée à Paris dans le bureau de Jacques Foccart, le M. Afrique du Général de Gaulle, peut commencer. Elle est baptisée Persil, du nom de la célèbre lessive qui « lave plus blanc ». Son but : déstabiliser la Guinée voisine et œuvrer au renversement de l’homme fort de Conakry, Sékou Touré.
Touré est la bête noire de l’Elysée depuis l’affront fait au Général lors de sa visite sur place un an plus. De Gaulle était venu défendre le maintien de la Guinée indépendante dans la Communauté Française mais s’était fait copieusement hué par la foule et renvoyé dans ses cordes par Sekou Touré auteur de la formule restée célèbre : « nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage ». Quelques semaines plus tard, la Guinée avait été le seul pays d’Afrique francophone accédant à l’indépendance à refuser l’association avec la France préférant se tourner vers le monde communiste et bénéficier de l’aide soviétique et chinoise.Pour la première fois, un pays africain menaçait de basculer à l’Est voire d’entraîner avec lui des pays voisins, dont le Mali notamment.
La guerre froide venait de faire son irruption sur le continent noir. Et comme l’abcès surgit dans la sphère francophone, c’est à Paris de prendre les mesures pour contenir le danger. Ce sera l’opération Persil. Sauf qu’ici, c’est un gouvernement issu des urnes qu’il s’agit d’essorer.
Chef de poste à Dakar puis directeur du SDECE en Afrique Maurice Robert, l’avouera bien des années plus tard dans ses mémoires[1] : « Nous devions déstabiliser Sékou Touré, le rendre vulnérable, impopulaire et faciliter la prise de pouvoir par l’opposition. Nous avons donc décidé d’armer et d’entraîner des opposants guinéens pour qu’ils développent un climat d’insécurité en Guinée et, si possible, qu’ils renversent Sékou Touré ». C’est la mission des hommes du 11ème Choc.
Scepticisme français face à l’offensive soviétique
Les barbouzes envoyés sur place semblent sceptiques. « Moustache », un radiotélégraphiste du SDECE partie prenante de l’opération Persil, l’a confié sous le sceau de l’anonymat, il y a quelques années, à des journalistes de RFI : « La tentative d’expansion du communisme en Afrique provoquait chez nous plus de sourires que d’inquiétudes. Nous nous disions que si les Russes avec leurs gros sabots mettaient leurs mains sur l’Afrique, ils auraient du souci à se faire. Pendant mon séjour là-bas, ils ont envoyé à Conakry, en guise de tracteurs agricoles, des chasses neige non modifiés… qui n’ont jamais servi »[2].
En bons militaires, les hommes du SDECE se mettent pourtant à l’œuvre pour renverser Sékou Touré. Ils s’appuient sur « Solidarité Guinéenne », une organisation d’opposants en exil, regroupant des Peuls écartés du pouvoir à Conakry au profit des Soussous, l’ethnie du Président. Les agents français mettent sur pied plusieurs filières pour faire parvenir des armes aux réseaux d’opposants guinéens, voire fomenter l’assassinat de l’homme fort de Conakry.
Problème : des fuites provenant de la communauté guinéenne au Sénégal arrivent jusqu’aux oreilles de Sékou Touré en personne. Lequel proteste auprès de Pierre Messmer, Haut-commissaire de la France à Dakar.
Dans un premier temps, Celui-ci fait, la sourde oreille.
Des cargaisons d’armes saisies
Mais au printemps 1960, l’affaire éclate au grand jour : Le 10 mai, une importante cargaison d’armes de guerre est saisie par la police sénégalaise à la frontière avec la Guinée. Les premiers éléments de l’enquête pointent la responsabilité d’un parachutiste français, cheville ouvrière de l’opération Persil, le capitaine Garuz. L’affaire est suffisamment grave pour remonter jusqu’à la présidence de la République au Sénégal, pays qui vient tout juste d’accéder à l’indépendance, le mois précédent.
Marchant sur des œufs entre les intérêts de son voisin guinéen et ceux de l’ancienne puissance coloniale, le président du conseil Mamadou Dia prend la plume pour saisir directement le Général de Gaulle de l’épineuse affaire (voir fac-similé) : « Nous avons été informés d’activités très suspectes à la frontière sénégalo-guinéenne », débute-t-il, avant de déballer tous les détails de l’affaire et de mettre en cause le rôle du SDECE.
La missive ébranle les plus hautes sphères parisiennes. « Le Général était furieux, témoignera plus tard l’éminence grise Jacques Foccart. « Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? » s’est-il d’abord exclamé. « Qui a pu faire cela ? » Il aurait pu exploser, me demander de quel droit j’avais pris de telles initiatives. Mais je lui ai donné des explications. Il a eu un commentaire laconique : « Dommage que vous n’ayez pas réussi »… »[3]. Reste pour la France prise la main dans le sac, il n’est plus question de poursuivre dans la voie d’un soulèvement armé.
De là à abandonner toute velléité d’affaiblir le régime crypto-communiste de Sékou Touré, il y a un pas que les agents secrets français ne sont pas encore prêts de franchir.
En parallèle des opérations armées, les hommes de l’opération Persil ont en effet imaginé une autre façon de déstabiliser Sékou Touré : couler la Guinée économiquement.
Dès 1958, en représailles au « Non » à la Communauté, le Général de Gaulle avait déjà rappelé dans l’Hexagone, les fonctionnaires français épaulant les autorités guinéennes. Mais la plupart des enseignants et beaucoup d’expatriés employés par des entreprises françaises privées étaient restés. Le développement de la Guinée se poursuivait grâce, également aux aides du bloc de l’Est : les Soviétiques modernisaient le port de Conakry ou rénovaient l’aéroport, les Chinois construisaient des usines… La Tchécoslovaquie, elle, avait pris en charge la fabrication des billets de francs guinéen, la monnaie du pays qui, fâché avec la France ne pouvait utiliser le Franc CFA.
Les barbouzes du SDECE vont alors avoir l’idée de se servir de cette fragilité. Leur plan : faire exploser l’inflation et la crédibilité de la nouvelle monnaie du régime en inondant la pays de contrefaçons. La machination a germé dans le cerveau particulièrement retors du colonel Maurice Leroy-Finville, le patron du service 7 du SDECE, l’unité la plus borderline du contre-espionnage français. Mais sa mise en œuvre incombe aux hommes de l’opération Persil chargés de faire passer des tonnes de fausse monnaie fabriquée dans les sous-sols de la « Piscine », livrée par avion à Dakar puis acheminée en Guinée par camions.
Mais là-encore rien ne se passe comme prévu. Leroy-Finville, le maitre-espion ès-basses œuvres du régime gaulliste l’a raconté dans son livre de souvenir : « Il se passe ceci d’ahurissant que nos faux billets sont de meilleure qualité que ceux fabriqués par les tchécoslovaques. Dans le climat saturé d’humidité de Conakry ou il tombe six mètres (sic) d’eau par an, la monnaie imprimée à Prague se détériore, chiffres et dessins ont tendance à se brouiller et les billets se muent en chiffon de papier »[4] . Résultat, les faux billets plus résistants remplacent les billets originaux et la masse monétaire reste à peu près constante. Echec sur toute la ligne.
A Paris, on décide alors de cesser les frais. C’est la fin de « Persil ».
Un bilan calamiteux
Le bilan est calamiteux. Loin de déstabiliser la Guinée, les manœuvres de services secrets français ont plutôt contribuées à solidifier le régime de Sékou Touré. Celui-ci va en effet s’ingénier à s’appuyer sur la cabale française comme une arme de propagande facilitant la répression de ses opposants, à la tête d’autres complots réels ou imaginaires. Il restera à la tête de la Guinée jusqu’à sa mort, le 26 mars 1984.
Fin 1961, le camp occidental s’est, lui, résigné à laisser se dérouler la lune de miel entre Sékou Touré et le bloc de l’Est. A partir du moment où la contagion communiste ne s’étend pas aux pays voisins, l’équilibre de la guerre froide n’est pas remise en cause, estime-t-on tant à Paris qu’à Washington. La CIA a calculé qu’entre 1959 et 1983, l’URSS avait fourni pour 188,5 millions de dollars d’équipements militaires à la Guinée et formé 920 chefs militaires en Union soviétique[5
[1] « Ministre de l’Afrique », entretien avec André Renault, Le Seuil, 2004
[2] Guinée, une histoire des violences politiques, Coralie Pierret et Laurent Correau, RFI, 2018
[3] « Foccart parle », entretiens avec Philippe Gaillard, Fayard, 1995
[4] Entretiens avec Philippe Bernet in « SDECE Service 7 », presse de la Cité 1980
[5] « Intérêts soviétiques en Guinée », direction du renseignement de la CIA, le 16 avril 1984
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