Ses ambitions économiques pour le pays tournèrent courts et provoquèrent sa chute, son décès remonte à 52 ans déjà

Né le 9 juin 1917 à Madibou et décédé le 5 mai 1972 à Madrid en Espagne, l’’abbé Fulbert Youlou est l’un des personnages les plus controversés du Congo, à tel point que durant des décennies, il fit l’objet d’un anathème. Pourtant, à ses débuts, Fulbert Youlou était apparu à ses concitoyens comme une sorte d’homme providentiel. C’est lui qui, en août 1960, avait conduit le Congo-Brazzaville à l’indépendance. Lui qui, en décembre 1960, avait organisé une grande conférence intercontinentale à Brazzaville, au cours de laquelle il vanta les bienfaits du libéralisme économique et condamna le communisme. Trois ans plus tard, la prospérité économique n’était toujours pas au rendez-vous, alors que le gouvernement déployait un faste insolent, selon ses détracteurs. Youlou le « modéré » décevait. Sa décision d’imposer, en août 1963, le monopartisme en emprisonnant les dirigeants syndicaux fut l’élément déclencheur de la révolution dite des « Trois Glorieuses ». La France refusa alors, d’aider ce chef d’État africain que le couple de Gaulle méprisait. Fulbert Youlou quitta le pouvoir.

Albert Youlou naît le 9 juin 1917 à Madibou. Il est le cadet d’une famille de trois garçons. À l’âge de neuf ans, il est baptisé et reçoit le prénom de Fulbert.

En 1929, il entre au Petit Séminaire de Brazzaville. Élève brillant, il est envoyé à Akono au Cameroun, pour y terminer ses études secondaires. Par la suite, il intègre le Grand Séminaire de Yaoundé où il semble montrer de grandes capacités en philosophie. Il y rencontre l’Oubanguien Barthélémy Boganda élève comme lui de cette institution.

Revenu au pays, il enseigne un temps au Séminaire de Mbamou avant de partir à Libreville terminer ses études de théologie. Il passe son dernier cycle d’études à Brazzaville.

Le 9 juin 1946, Fulbert Youlou est ordonné prêtre. Il est affecté à la paroisse Saint-François de Brazzaville où, très dynamique, il dirige les diverses organisations de jeunesse, des activités sportives et des œuvres catholiques. Il prend également en charge l’aumônerie de l’hôpital général de Brazzaville actuel CHU et celle de la prison, la Maison d’Arrêt.

Fulbert Youlou s’intéresse tôt à la politique. Le dirigeant congolais est un ardent partisan du libéralisme économique.

Dès sa prise du pouvoir, il adopte une politique modérée, s’efforçant ainsi d’attirer les investissements dans son pays, comme en témoigne un discours du 8 décembre 1958 : « Nous sommes prêts à formuler toutes garanties pour que s’investissent sans crainte, et dans la plus grande confiance, les capitaux publics et privés sans lesquels il n’est pas possible de concevoir la mise en place de grandes sources d’énergie et des usines de transformations. »

Avec Léopold Sédar Senghor et Félix Houphouet Boigny comme partenaires d’une vision commune, Fulbert Youlou s’inscrit dans un véritable défi pour le développement du Congo.

Entre 1960 et 1963, le Congo enregistre 38 milliards de francs CFA d’investissements bruts sur son territoire, pour un PIB estimé en 1961 à 30 milliards de francs CFA.

Les richesses minières attirent à elles seules, 21 milliards de francs CFA avec l’exploitation du manganèse par la Compagnie minière de l’Ogooué (COMILOG) et de la potasse par la Compagnie des potasses du Congo (CPC).

Les 17 milliards de francs CFA restant, sont quant à eux, investis pour 3 milliards (18 %) dans le secteur primaire, 2,7 milliards (15 %) dans l’industrie, 6,3 milliards (37 %) dans le tertiaire, et 5 milliards (30 %) dans des programmes non économiques tels que l’éducation, la santé, l’urbanisme ou le logement.

Malgré une politique libérale, ces 17 milliards ne proviennent qu’à hauteur de 5,5 milliards (32 %) de capitaux privés ; l’aide internationale (notamment la France) en fournit 7 milliards (41 %) et le gouvernement congolais 4,5 milliards (27 %).

Au niveau de la balance commerciale, la situation semble s’améliorer durant la présidence de Fulbert Youlou.

Alors qu’en 1960, le déficit commercial est de 5,7 milliards de francs CFA, en 1963 il n’est plus que de 4,1 milliards. Chaque année, les exportations congolaises (diamants exclus) augmentent, passant entre 1960 et 1963 de 6,1 à 7,9 milliards de francs CFA. Elles se composent pour moitié de leur valeur de bois. Les produits de l’industrie légère, tel que le sucre, en représentent quant à eux plus du quart. Par ailleurs, le déficit commercial est fortement atténué par les recettes du transit.

Le Congo tire en effet de forts revenus de ses infrastructures ferroviaires et portuaires qui permettent de desservir les pays frontaliers. En 1963, ce transit rapporte 2,3 milliards de francs CFA au Congo. En ce qui concerne le déficit budgétaire, l’administration Youlou n’est pas très rigoureuse.

En cumulant les années de 1960 à 1963, il s’élève à 2,4 milliards de francs CFA. La France le finance gracieusement à hauteur de 1,2 milliard. Le reste est couvert par des avances du Trésor français. Pour assainir la situation financière, la pression fiscale passe de 17 % du PIB en 1960 à 26 % en 1963 tandis que des mesures d’austérité sont prises dans l’administration : les chefs de service se voient supprimer leurs véhicules de fonction, les frais de mission ne sont plus remboursés et les avancements sont bloqués. Le président de la République, les ministres et les députés en sont exemptés.

L’économie du pays fait les frais de cette mauvaise gestion des deniers publics. La croissance est trop modeste pour absorber le chômage que l’urbanisation a accéléré.

Pourtant, le Congo dispose d’atouts remarquables pour son développement. Outre ses richesses minières et son bois, le pays dispose de formidables possibilités hydro-électriques à Sounda, près de Pointe-Noire, sur le fleuve Kouilou-Niari.

La construction d’un barrage sur ce site pourrait permettre la production électrique de huit milliards de kilowattheures par an et le développement d’industries lourdes créatrices d’emplois avec l’installation de complexes électrométallurgique et chimique. Enthousiasmé par ce projet, Fulbert Youlou doit toutefois faire face à deux problèmes majeurs : tout d’abord son coût, estimé à 100 milliards de francs CFA ; ensuite l’insuffisance du Congo à s’approvisionner en bauxite, une matière première au cœur du projet. Le dirigeant congolais tente d’y remédier par le biais d’une politique étrangère active.

En août 1962, Fulbert Youlou annonce son intention d’institutionnaliser le parti unique « afin de sceller la réconciliation et l’unité nationale réalisées ». Il ne rencontre aucune opposition, bien au contraire, cette décision semble enthousiasmer le dirigeant du MSA Jacques Opangault. Dans ce but est organisée le 3 août 1963 une table ronde rassemblant les dirigeants des trois partis existants (UDDIA, MSA et PPC), les responsables syndicaux, les représentants de l’Assemblée nationale et ceux de l’armée congolaise.

Les syndicalistes, bien que non opposés au principe de parti unique, refusent les statuts proposés par le chef de l’État ; pour eux, ils ne semblent servir que les intérêts de Fulbert Youlou.

Afin de signifier leur désapprobation, les syndicalistes décident d’organiser le 13 août un « arrêt de protestation » à la Bourse du Travail de Brazzaville. La veille de ce mouvement, dans la nuit, Fulbert Youlou fait arrêter les principaux dirigeants syndicaux.

À l’annonce de cette nouvelle, le simple meeting se transforme en une véritable manifestation antigouvernementale. Les protestataires prennent d’assaut la maison d’arrêt afin de les libérer, provoquant des affrontements avec les forces de l’ordre. Trois syndicalistes y trouvent la mort.

Finalement, lorsqu’ils y parviennent, il s’avère que les dirigeants arrêtés la veille ne s’y trouvent pas. La manifestation antigouvernementale tourne à l’émeute ; le pays est paralysé. L’armée française se joint à la gendarmerie congolaise pour rétablir le calme.

Le soir, l’Abbé décrète le couvre-feu ainsi que l’état de siège, et lance un appel au calme par radio. Le lendemain, à midi, le président de la République déclare à la radio : « En raison de la gravité de la situation, je prends en mon nom personnel les pouvoirs civils et militaires. Un comité restreint, placé sous l’autorité du chef de l’État, aura pour tâche le rétablissement de l’ordre, la reprise du travail et la mise en place des réformes qui s’imposent. »

Dans la soirée, le gouvernement est dissous. Toutefois, les ministres Jacques Opangault, Stéphane Tchitchéllé et Dominique Nzalakanda sont reconduits dans leur fonction.

À l’annonce du maintien du très impopulaire Nzalakanda dans le gouvernement, les militants youlistes décident de rejoindre les manifestants. Le 15 août au matin, la foule se dirige vers le palais présidentiel afin de réclamer la démission de Fulbert Youlou. Des pancartes aux slogans tels que « À bas la dictature de Youlou » ou « Nous voulons la liberté » sont brandies.

Les syndicalistes parviennent à gagner la sympathie des deux capitaines commandant l’armée congolaise ; l’un d’eux, le capitaine Félix Mouzabakani, est pourtant le neveu de Fulbert Youlou.

Le chef de l’État demande par téléphone au général de Gaulle l’aide de la France, en vain. Résigné, il finit par signer sa démission en tant que président de la République, maire de Brazzaville et député à l’Assemblée.

Le nouveau régime qualifie les journées insurrectionnelles du 13, 14 et 15 août 1963 comme « révolutionnaires ». Il les nomme les « Trois glorieuses ».

Le soir même de sa démission, l’ancien président de la République est interné dans un camp militaire. Quelques semaines plus tard, il est transféré avec sa famille au camp de gendarmerie « Djoué ». Il semble être bien traité.

Mais rapidement, un climat de terreur s’installe avec le nouveau régime socialiste. Apprenant que les jours de l’Abbé sont comptés, le successeur de Fulbert Youlou à la tête de l’État Alphonse Massamba-Débat, l’aide à s’enfuir vers Léopoldville, actuel Kinshasa, le 25 mars 1965.

Le Premier ministre de la République démocratique du Congo, Moïse Tshombe, lui accorde immédiatement l’asile politique.

Le 8 juin 1965 commence son procès au Congo-Brazzaville par un tribunal populaire. Fulbert Youlou est accusé de détournement de fonds publics et de l’utilisation à des fins personnelles d’un avion militaire de Havilland Heron qu’il aurait reçu du gouvernement français. Par ailleurs, il est tenu pour responsable de la mort des trois syndicalistes lors de la prise d’assaut de la maison d’arrêt le 13 août 1963. Enfin, il est également inculpé pour avoir apporté son soutien à la sécession katangaise menée par Moïse Tshombe.

Le verdict le condamne à mort par contumace, et ordonne la nationalisation de tous ses biens, c’est-à-dire la ferme de Madibou et deux hôtels particuliers à Brazzaville.

L’Abbé se défend de ces accusations avec la publication en 1966 d’un livre, J’accuse la Chine, véritable pamphlet anticommuniste. « Oui, un tribunal dont le jugement rendu n’est que le reflet évident de la haine ne peut être équitable et juste car, avant de se prononcer sur la nationalisation de tous mes biens, ce tribunal aurait dû savoir que c’est en 1946 que j’ai acheté la ferme de Madibou, grâce aux dons que j’avais reçus alors des chrétiens, que le petit hôtel de Bacongo a été construit en 1956 grâce à un crédit de deux millions sollicité à la banque qui s’appelait alors Crédit d’A.E.F. et ce crédit a été entièrement remboursé. L’hôtel du Pool n’est pas encore entièrement payé, je suis satisfait de ce que Massamba-Débat prendra sur lui toutes mes dettes. Ce que ce tribunal ne veut pas savoir et ne veut pas dire, c’est que j’étais régulièrement salarié et que j’avais le droit d’user de ma solde. Ce tribunal ne démontre pas non plus combien j’ai volé et sur quel chapitre cette somme a été défalquée. Je suis condamné à mort pour avoir demandé de maintenir l’ordre le 13 août, alors que je représentais le pouvoir légal… ».

Fulbert Youlou décède à Madrid le 5 mai 1972, d’une hépatite. Le président de la République Marien Ngouabi fait rapatrier son corps au Congo. Le 16 décembre 1972, sa dépouille est exposée trois jours durant dans la cathédrale du Sacré-cœur de Brazzaville, avant d’être enterrée dans son village natal de Madibou, sans aucune cérémonie officielle.

La mémoire de Fulbert Youlou a été réhabilitée à la Conférence nationale de 1991 pourtant, l’anniversaire de sa mort se déroule toujours dans l’anonymat, sans cérémonie officielle. Une ONG assiste la famille dans l’entretien du site où est enterré le président Fulbert Youlou. Les travaux de réhabilitation du mausolée où il repose, se heurtent au manque de moyens financiers.

Toutefois certaines personnalités se rendent à titre personnel sur sa tombe, pour honorer la mémoire du premier président congolais.

Bertrand BOUKAKA/Les Échos du Congo-Brazzaville

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