« Si le pays s’enlise dans le blocage, ce ne sera pas la faute des institutions, mais celle de nos responsables politiques »

Dominique Rousseau est professeur émérite de droit public à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne et membre honoraire de l’Institut universitaire de France. Spécialiste de droit constitutionnel, il a notamment écrit l’ouvrage Les Contestations. Penser, décider, agir (Belopolie, 56 pages, 10 euros).

Au vu du résultat des législatives, est-ce qu’un premier ministre issu d’une certaine famille politique s’impose à Emmanuel Macron ?

D’après la Constitution, en l’absence d’une majorité absolue au Parlement, le président n’est pas tenu de nommer un premier ministre issu d’un camp particulier. Et justement, nous sommes dans une situation inédite où l’Assemblée nationale n’est composée que de minorités. Ce à quoi il faudrait rajouter, pour complexifier l’équation, qu’il s’agit de minorités sans chef. Ensemble et le Nouveau Front populaire (NFP) n’ont pas de leader clair ; seul le Rassemblement national (RN) en a un, Marine Le Pen.

Le président est tenu de nommer un premier ministre qui pourra gouverner ou, au moins, qui ne risquera pas d’être immédiatement renversé. Il est donc naturel qu’Emmanuel Macron ait demandé dans sa lettre aux Français, le 10 juillet, aux partis politiques de s’entendre, afin de former une coalition majoritaire. Pour l’instant, une telle coalition n’a pas encore émergé.

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Si les partis n’arrivent pas à s’entendre, nous serons, semble-t-il, dans une situation d’ingouvernabilité. Que se passera-t-il alors ?

En cas de blocage, deux scénarios sont envisageables pour résoudre la crise. Une solution douce : Emmanuel Macron pourrait proposer la mise en place d’un gouvernement technique, comme il y en a eu en Italie. Mais il faudrait là aussi qu’il ne soit pas renversé par le Parlement. En cas de crise totale, reste une solution dure : la démission du président de la République, qui fait écho à celle d’Alexandre Millerand [1859-1943] en 1924, dans une situation comparable.

Les institutions de la VRépublique sont-elles inadaptées à la situation que nous vivons, avec une tripartition du champ politique ?

Non, au contraire. Tout le monde l’a oublié, mais Charles de Gaulle et Michel Debré, qui furent les artisans de notre Constitution, pensaient, lorsqu’ils l’ont conçue en 1958, qu’il n’y aurait jamais de majorité absolue à l’Assemblée nationale. Ils l’ont donc élaborée pour qu’elle puisse fonctionner sans majorité nette, avec des coalitions.

Nous avons un problème de culture politique, pas de droit. Si le pays s’enlise dans le blocage, ce ne sera pas la faute des institutions, mais celle de nos responsables politiques : ils n’auront pas été à la hauteur. Pour l’être, ils devront arrêter d’associer grossièrement le compromis à la trahison, ou à la compromission. Car aucune minorité ne pourra mettre en œuvre la totalité de son programme, contrairement aux revendications de certaines personnalités de gauche.

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