S’ils avaient le choix, les éleveurs ne garderaient que l’heure d’été

Depuis bientôt 50 ans déjà, la France passe à l’heure d’été ce week-end. Ce changement a des conséquences dans les fermes pour les éleveurs mais également pour leurs animaux.

Comme chaque dernier dimanche mars depuis bientôt 50 ans déjà, la France et désormais l’Union européenne depuis 1998 passe à l’heure d’été. Concrètement dans la nuit de samedi à dimanche, à 2 heures du matin, il faudra avancer sa montre d’une heure, il sera en fait 3 heures. On sera alors en avance de deux heures par rapport à l’heure solaire. Dans les campagnes, les anciens l’appellent encore « l’heure Giscard ». C’est en effet sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing en 1976 que la France a mis en place l’heure d’été. Un moyen de réduire la consommation de lumière artificielle et donc d’énergie pour profiter davantage de la lumière du jour en réponse au second choc pétrolier de 1973 qui a fait grimper en flèche la facture énergétique tricolore. Une solution déjà éprouvée aux États-Unis en 1784 par Benjamin Franklin pour économiser les bougies et chandelles qui avait fait ses preuves.

Plus facile d’avancer que de reculer d’une heure

Reste que ce décalage horaire, si minime soit-il, n’est pas neutre sur l’horloge biologique des humains mais aussi des animaux notamment dans les fermes. Il faut un temps d’adaptation plus ou moins long pour absorber ce changement. « Les animaux sont très routiniers. Ils suivent un rythme biologique régulier, souvent calqué sur la lumière naturelle. Le décalage d’une heure peut entraîner un léger stress physiologique, commente Olivier Crenn, vétérinaire associé au sein de la clinique Vétérinaire Sud Mayenne comprenant 24 professionnels. Les animaux sont habitués à recevoir leur nourriture à des horaires fixes. Une modification soudaine des habitudes peut affecter leur digestion et leur bien-être, poursuit-il. Aussi est-il préférable de décaler de 10 minutes par jour pendant six jours la distribution d’aliments. C’est le cas pour les petits veaux, les poules ou les porcs, en fait pour tous les animaux évoluant en bâtiment. En outre, il est plus facile d’avancer un repas d’une heure que le retarder d’autant ».

Dans ces conditions l’heure d’été est donc plus simple à mettre en place que celle d’hiver. Le dernier week-end d’octobre on recule sa montre d’une heure et l’on repasse à l’heure dite d’hiver.

Perte de lait

Ce changement d’heure affecte aussi les vaches laitières. « Décaler la traite d’une heure peut provoquer une baisse temporaire de la production et un changement d’appétit », rapporte Olivier Crenn. « Les vaches laitières produisent du lait à des heures précises. Elles ont une heure de traite spécifique, ajoute Yannick Bouillis éleveur d’une centaine de laitières à Épinac dans le pays de Saint-Malo. Reculer la traite d’une heure comme on le fait avec l’heure d’hiver est plus problématique. Les vaches attendent d’être traite et perdent du lait. On doit donc faire ce changement d’heure progressivement chaque jour. Il faut en moyenne une semaine pour les adapter. C’est la même chose pour le passage à l’heure d’été ».

Mais désormais Yannick Bouillis comme de plus en plus d’éleveurs laitiers en France vivent mieux le changement d’heure. Ils se sont équipés de robots de traite. « On voit le changement pour nous et pour nos animaux, apprécie-t-il. Les vaches vont se faire traire quand elles veulent et elles ne s’aperçoivent pas du changement. Pour nous on s’adapte comme tout le monde mais on préfère l’horaire d’été car on peut travailler plus tard le soir dehors à un moment de forte activité ». 

S’il ne fallait n’en garder qu’une toute l’année, je préfère l’heure d’été. Aux beaux jours, au moment de faire les travaux des champs, on travaille plus tard. L’hiver en fin de journée, il y aurait une heure de plus à la lumière du jour, c’est plus agréable quand on est à l’extérieur

Joël Sillac, éleveur de vaches bazadaises à Perquie en Nouvelle Aquitaine

Dans les Landes à Perquie, Séverin Vignolles, éleveur gaveur de canards gras est du même avis. « On est habitué à se lever toute l’année quand il fait nuit pour la première séance de gavage, raconte-t-il. En revanche on préférerait garder l’heure d’été l’hiver car pour la seconde séance de l’après-midi il ferait encore jour quand on la finit vers 17 heures ».

Bruxelles veut arrêter le changement d’heure

D’autant que ce changement aurait un effet relatif. Selon une étude conduite par le Service de recherche du Parlement européen (EPRS), il permettrait de diminuer d’un pays à l’autre entre 0,5 % et 2,5 % de sa consommation d’énergie totale. Une mesure plus bénéfique pour les pays du sud que ceux du nord. En 2018, face aux économies plus ou moins modestes réalisées par l’heure d’été et à l’hostilité croissante d’une partie de la population à cette mesure, Bruxelles a organisé une consultation publique à laquelle ont participé 6 millions de citoyens européens, un record. Elle a débouché sur la suppression permanente du changement d’heure mais n’a pas tranché sur quelle heure garder. Celle d’hiver ou celle d’été ? Cela a été laissé à l’appréciation de chaque État membre. Le Parlement européen a entériné cette décision. Mais la mesure a été reportée à cause de la crise sanitaire liée au Covid-19 et n’a jamais été appliquée.

Un penchant pour l’heure d’été sauf à Kiev

Dans ce contexte si les agriculteurs devaient choisir entre l’heure d’hiver et celle d’été ils choisiraient de préférence la seconde. « S’il ne fallait n’en garder qu’une toute l’année, je préfère l’heure d’été. Aux beaux jours, au moment de faire les travaux des champs, on travaille plus tard. L’hiver en fin de journée, il y aurait une heure de plus à la lumière du jour, c’est plus agréable quand on est à l’extérieur, reconnaît Joël Sillac éleveur de vaches bazadaises à Perquie en Nouvelle Aquitaine. Reste qu’en contrepartie, le soleil ne se lèverait au plus creux de l’hiver, c’est-à-dire en janvier, qu’à partir de 9h45. On est habitué le matin à travailler quand il fait nuit une bonne partie de l’année, cela ne changerait pas grand-chose ». En Mayenne Frédérique Hiland éleveuse de normandes avec son mari apprécie plus aussi l’heure d’été. « Grâce à l’heure d’été je peux être au jardin potager jusqu’à 22h30 en juin et juillet à une époque où il y a le plus à faire pour avoir des légumes et des fruits, remarque-t-elle. On fait cela après avoir fini les travaux de la ferme ».

Pour l’instant l’Europe a d’autres priorités dont celle de trouver une issue pacifique au conflit russo-ukrainien. Justement ce dernier pays a choisi de ne plus passer à l’heure d’été. L’Ukraine ne changera en effet pas son heure ce 30 mars qui a bougé pour la dernière fois en octobre dernier. Le Parlement à Kiev a voté le 16 juillet dernier l’annulation de l’heure d’été. Ce vent portera-t-il jusqu’à l’ouest ? L’avenir le dira.

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