Six ans sous l’eau ! Dominique raconte sa vie à bord du sous-marin l’Espadon pendant la guerre froide
À bord de l’Espadon, Dominique Goujon a vécu l’aventure sous-marine, témoin d’une époque marquée par la guerre froide. De sa première plongée mouvementée à ses missions d’entraînement avec les commandos, cet ancien timonier revient sur une vie hors du commun.
Le 10 décembre 1973, Dominique Goujon n’a pas encore 18 ans lorsqu’il monte pour la première fois à bord du sous-marin l’Espadon. En sortant de son cours de timonier à Toulon, il rejoint la base de Keroman à Lorient. Face à lui, un mastodonte d’acier de 73 mètres, encore mystérieux. Il ne sait rien ou presque de ce qui l’attend. Ce jour-là, il ne sait pas non plus qu’il y passera au total près de six ans, entre navigations discrètes en mer du Nord et vie rythmée par les quarts, les exercices et les liens tissés dans la promiscuité.
Si Dominique s’est engagé dans la Marine à seulement 17 ans, ce n’est pas par hasard. Depuis son enfance, il est habité par une mémoire familiale forte. Sa mère, finistérienne, n’avait gardé qu’une seule photo de son père, marin décoré et mort en 1939. « Cette photo a bercé toute mon enfance », confie Dominique. Elle incarne pour lui une vocation : celle de devenir marin, timonier, comme ce grand-père qu’il n’a pas connu.
Il grandit à Paris, intègre les cadets de la mer, puis interrompt ses études à Nanterre pour s’engager dans la Marine nationale. Sans le savoir, il s’apprête à plonger — au propre comme au figuré — dans un monde à part.
Son premier embarquement sur l’Espadon, le célèbre sous-marin désormais exposé à Saint-Nazaire, le marque profondément. À peine majeur, il découvre un univers fermé, exigeant, où l’on embarque « sans vraiment connaître ce qu’était un sous-marin ». La première sortie en mer est rude, le corps n’est pas encore aguerri à la vie sous l’eau, mais très vite, la curiosité et l’adaptation prennent le dessus.
À bord, il découvre une discipline de fer et une organisation millimétrée. L’équipage — entre 65 et 73 hommes — fonctionne en quarts de quatre heures, jour et nuit. « On dormait en moyenne quatre heures par nuit, parfois sur une bannette encore chaude (ndlr, les lits n’avaient pas le temps de refroidir, car les marins enchaînaient les quarts) parfois dans un hamac au poste torpille », raconte-t-il. L’espace est restreint, les douches rares, les odeurs tenaces. « Quand on rentrait à quai, il ne fallait pas nous approcher. Ma douche durait une heure. »
Dans ce microcosme, chaque détail compte. Dominique se souvient du rôle crucial du cuisinier : « Un mauvais cuistot, c’est une mauvaise ambiance. Mais sur l’Espadon, on avait « Donou ». Il faisait des prouesses dans une cuisine de 1m50 sur 1m20. Une fois, il nous a même préparé une pièce montée ! » Ces gestes simples, dans un environnement contraint, sont essentiels au moral de l’équipage.
Loin d’être un simple lieu de travail, le sous-marin devient une famille de substitution. « C’était un corps bien particulier. Les liens créés sont restés forts, même des années après. »
Durant ses années à bord, Dominique participe à des exercices OTAN en mer du Nord, à des missions d’entraînement avec les commandos marine, voire à des simulations de dépose d’agents secrets depuis une « valise » (ndlr, petit sous-marin) accrochée à l’aileron arrière du submersible. L’Espadon n’a jamais connu de conflit direct, mais il naviguait dans le contexte tendu de la guerre froide.
À bord, on embarque aussi un spécialiste en écoute sous-marine, surnommé l’« Oreille d’or », capable de distinguer le bruit d’un navire à plusieurs kilomètres. L’Espadon, silencieux et discret, est un outil de surveillance stratégique. « Une fois, lors d’une première plongée, on avait oublié de prendre en compte le poids des six torpilles. On est descendu directement à 200 mètres sans s’arrêter ! » se souvient Dominique.
Formé comme timonier, Dominique monte rapidement en grade. Il devient patron du pont, poste qui l’amène à encadrer l’équipage, gérer les vivres, superviser les relèves de quart aux côtés des officiers. « On tournait sur différentes tâches pendant nos quarts. Tout était carré et bien organisé. »
Il quitte l’Espadon une première fois en 1976 pour embarquer sur le Redoutable, beaucoup plus grand (130 mètres) et à la vocation nucléaire. Il y réalise quatre missions sur deux ans. Il revient finalement sur l’Espadon de 1982 à 1985, comme patron du pont.
Des problèmes de santé l’obligent à quitter le monde sous-marin. Il poursuit sa carrière dans la Marine en surface, notamment à Tahiti, avant de devenir officier de port pendant 16 ans, puis responsable qualité au Port de Saint-Nazaire, avant de prendre sa retraite en janvier 2020.
Mais jamais il n’a oublié l’Espadon. Lorsqu’il y retourne des années plus tard, désormais musée, une chose le frappe immédiatement : l’odeur. « C’était la même. C’est un monde qui ne vous quitte jamais. »
Infos pratiques: le sous-marin Espadon, stationné à flot dans l’écluse fortifiée à Saint-Nazaire, est ouvert au public. Plus d’infos ici: https://www.saint-nazaire-tourisme.com/les-visites/les-sites-de-visite/espadon/
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