Publié le 09 avril 2025
Depuis avril 2023, le Soudan est ravagé par une guerre atroce entre l’armée régulière du général Abdel Fattah al-Burhan et les Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdan Dagalo, dit « Hemetti ».
Ce conflit n’est pas une simple lutte de pouvoir : il consacre l’échec d’un processus révolutionnaire profondément enraciné dans la société soudanaise, porté par des millions de citoyens, des comités de résistance, des associations – au premier rang desquelles l’Association des professionnels soudanais – et des partis politiques progressistes comme le Parti communiste soudanais. Cette révolution, riche d’une maturité politique exceptionnelle, a été confisquée par les armes, minée par l’or, et instrumentalisée par des puissances étrangères.
La révolution de 2019 portait un immense espoir : celui d’un Soudan démocratique, débarrassé de la dictature d’Omar el-Bachir. Ce fut un soulèvement populaire massif, porté par la jeunesse, les femmes et les comités de quartiers, qui réclamaient la justice sociale, la liberté et la fin de la mainmise militaire sur l’État. Mais la transition fut trahie par une junte divisée. En 2021, l’alliance entre Burhan et Hemetti se fissure. Le différend sur l’intégration des FSR dans l’armée ne fut que l’étincelle : le feu couvait déjà sous les ruines de l’État.
Un pays déchiré entre or, famine et ambitions impériales
Depuis deux ans, ce sont plus de 150 000 morts, 13 millions de déplacés, 26 millions de personnes en insécurité alimentaire, des famines, des viols, des bombardements de marché, des massacres à grande échelle. Khartoum est aujourd’hui en ruines, le Darfour assiégé. Pourtant, les protagonistes continuent à se disputer le pays comme un butin.
Le nerf de la guerre ? L’or. Hemetti contrôle les mines du Darfour, les trafique à travers le Tchad, la Centrafrique, et les Émirats. L’armée, de son côté, négocie des concessions avec des firmes chinoises et russes. Dans cette ruée vers le sang, chaque balle tirée est financée par un lingot extrait dans des conditions criminelles.
Mais réduire le Soudan à sa rente aurifère serait incomplet. Ce pays est aussi un nœud stratégique majeur sur la carte africaine. Contrôler le Soudan, c’est surveiller la mer Rouge, une des routes commerciales les plus vitales au monde. C’est dominer les flux migratoires vers l’Europe, maîtriser l’accès au Nil et aux ressources hydriques, et disposer d’une profondeur logistique entre la corne de l’Afrique et le Sahel. La Russie y convoite une base navale. Les Émirats y déroulent leur politique d’influence par l’or et les drones. La Chine sécurise ses routes terrestres et ses intérêts miniers. En somme, le Soudan est un échiquier où les puissances se livrent une guerre froide par procuration.
La guerre au Soudan est donc une guerre globale. Loin d’être une affaire soudanaise, elle met en jeu les Émirats arabes unis, l’Égypte, la Russie, l’Iran, la France, la Turquie, l’Éthiopie, les États-Unis, etc. Chacun soutient un camp, tout en prônant la paix. Cette hypocrisie n’est pas nouvelle : au Yémen, en Libye, au Mali, c’est toujours la même partition. Mais au Soudan, le peuple n’est plus dupe.
Initiatives de paix et responsabilités internationales
Depuis deux ans, plusieurs tentatives de médiation ont été engagées, sans succès durable. Les négociations de Djeddah, Genève ou encore Nairobi ont échoué à établir un cessez-le-feu, en raison de l’implication directe des puissances étrangères dans le conflit et de l’absence des forces civiles dans les pourparlers. Une nouvelle initiative turque, lancée en décembre 2024, cherche à faire dialoguer les belligérants, mais reste fragilisée par le manque de confiance entre les parties. Dans ce contexte, la France doit jouer un rôle constructif, non pas en se rangeant dans le camp de l’un ou l’autre général, mais en soutenant fermement une solution politique inclusive portée par les civils soudanais. Elle doit appuyer les efforts régionaux sincères et faire pression pour un embargo sur les armes et sur l’or de guerre.
Il est urgent d’établir une paix juste au Soudan. Cette paix ne viendra ni des généraux en guerre ni des puissances étrangères : elle doit émerger de la mobilisation du peuple soudanais. Des rues insurgées aux comités de résistance, en passant par les partis progressistes comme le Parti communiste soudanais – qui refuse fermement de soutenir l’un ou l’autre des camps belligérants -, la solution ne peut venir que des forces démocratiques. Nous, communistes français, affirmons notre solidarité avec le peuple soudanais et saluons le courage du Parti communiste soudanais dans ce combat.
Félix Atchadé
responsable du Collectif Afrique
membre du secrétariat du secteur international
Article publié dans CommunisteS, numéro 1037 du 9 avril 2025.
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