Depuis le début de la CAN 2024, les supporters ont appris à serrer les dents. La compétition africaine propose des matchs haletants, aux scénarios fous, tenant les spectateurs en haleine jusqu’à la dernière seconde. Dans ce domaine, la première édition du Stell’Air Festival a tenu ses promesses. Le concert ubuesque de Burna Boy dans le quartier cossu de la zone 4 a donné des sueurs froides aux organisateurs.
« On a choisi Abidjan, parce que c’était la CAN. C’était stratégique, et le 20 janvier, il n’y avait aucun match à Abidjan », explique Hamssétou Haki Diakité, responsable marketing de l’événement, affairée aux abords de la grande scène. Résultats garantis : selon l’organisation, 20 à 24 0000 personnes étaient réunies sur un vaste site lagunaire récemment remblayé, pour assister à ce festival mettant à l’affiche les stars ivoiriennes Roselyne Layo, Serge Beynaud, Didi B ; les rappeurs français et marocain Gazo et El Grande Toto ; et une tête d’affiche de stature internationale, Damini Ebunoluwa Ogulu, dit Burna Boy, le roi de l’afrobeat naija et peut-être l’artiste africain le plus influent du moment. Un public hétéroclite, mêlant supporters de la CAN, Ivoiriens de la diaspora, classe moyenne d’Abidjan, mais aussi sa grande bourgeoisie, avec des billets allant de 7,5 euros à…7 500 euros.
« On s’est dit qu’en tant qu’enfants de la diaspora, parce qu’on est Français d’origine africaine, ça faisait plaisir de mettre nos connaissances et notre expérience professionnelle au service de la jeunesse africaine », poursuit Hamssétou, qui travaille aux côtés des deux têtes pensantes du projet, les producteurs Sirou Karagera et Abiola Sani-Agatha, figures du rap hexagonal.
Un retard conséquent
Peu après minuit, Gazo, manette de PlayStation serti de faux diamants autour du cou, et Didi B, chouchou du public, assurent le show avant l’arrivée de la star nigériane multiprimée, et nommée dans 4 catégories pour les Grammy awards 2024. Le rappeur ivoirien a livré une prestation de plus d’une heure, entouré pour l’occasion de ses anciens compères de Kiff No Beat, qui avaient revêtu le maillot des Éléphants, l’équipe nationale.
Il est près de trois heures du matin, et Burna Boy se fait attendre. Un DJ monte à la hâte pour faire danser le public qui commence à s’impatienter. Selon nos informations, le cachet du chanteur de Port Harcourt, a été négocié à plus de 750 000 dollars pour ce concert. « C’est une très bonne négo, en temps normal, il demande 1,2 million », glisse l’un des membres de l’équipe de production.
Les Abidjanais, habitués des faux plans de Wizkid, restent sur leur garde. Par deux fois, l’autre vedette du naija, a annulé en dernière minute des concerts initialement prévus dans la capitale économique ivoirienne. « C’est vrai qu’il y a des organisateurs qui mentent, qui sont malhonnêtes et qui parfois annoncent des artistes qui ne viennent pas », reconnaît Hamssétou Diakité. La veille, la jeune trentenaire a accueilli la star « à Jetex », le terminal des jets privés de l’aéroport d’Abidjan. « Il est bien ici, je peux vous le garantir », rigole-t-elle face aux rumeurs qui commencent à courir les allées du festival.
« Mais qu’est-ce qu’il fout ?! Je commence à le détester ! », s’énerve Aubry après un énième selfie sans saveur et acrobatique. La Franco-Ivoirienne, qui a fait le déplacement depuis Marseille, se fait régulièrement écraser contre la barrière de sécurité, sous la pression d’un public qui trépigne.
Coup de sang
Il est 3h10. L’un des cousins du chanteur jure que « Burna » est en route, et montre son téléphone avec lequel l’on peut suivre sa localisation en direct. Quinze minutes plus tard, le bus aux vitres teintées, escorté par la police, débarque dans l’enceinte du site. La sécurité dégage sans manière le passage jusqu’à la scène. Les 32 musiciens et danseurs se mettent en place. « On a dû louer du matériel de l’étranger parce qu’en Côte d’Ivoire. Il n’avait jamais fait un show comme celui qu’il va faire ce soir. C’est du matériel très pointu », précise Hamssétou.
3h30. Dernière respiration, l’artiste en veste bleu électrique monte sur scène, s’avance devant un public excité, des flammes sont projetées vers le ciel pour célébrer son entrée. « Jeun soke o, them go dey jeun soke o, All my people them go jeun soke o », l’artiste porte son micro rouge à la bouche et entame les premières paroles de Gbona, un hit parmi les hits. (Gros) problème : la sono dysfonctionne, Burna Boy est inaudible. « On n’entend rien ! », crient les spectateurs. Au terme de 20 secondes de flottements interminables, l’artiste pointe du doigt son oreillette et se dirige, le regard noir, vers l’ingé-son. Après une courte explication, il quitte la scène au pas de course, et fonce en furie vers son van-tour, laissant en plan les 20 000 spectateurs prêts à s’enjailler jusqu’au petit matin. L’artiste tambourine contre la porte du van, exigeant un départ immédiat du véhicule. Les organisateurs tentent de rassurer et de négocier, demandent au chauffeur de patienter, prétendant malicieusement que sa sécurité n’est pas assurée.
Finalement, Burna Boy rouvre la porte coulissante de son camion-loge, et hurle sur l’assistance, toujours plus décontenancée. « Where is the fucking motorcade ?!! » (« Où est ce putain de convoi ? »), « Let’s the fuck out of here ! NOW ! » (« Foutons le camp d’ici ! Tout de suite !! »). Le véhicule démarre lentement alors que les 32 musiciens, toujours sur scène, patientent en attendant les consignes.
Bose Ogulu
3h38. Réunion de crise entre le groupe de jeunes organisateurs. Le chanteur nigérian ne reviendra pas. Après tout, n’a-t-il pas déjà refusé un contrat de 5 millions de dollars pour un concert à Dubaï, en raison du refus de la production de le fournir en marijuana avant et après sa prestation ? Dépité, l’un d’eux avance une solution : « tu dois monter sur scène et dire toute la vérité ». Des centaines de spectateurs se mettent déjà à partir, et ne contiennent plus les critiques, excédés par l’attitude puérile de la star.
Pourtant, cinq minutes plus tard, surprise ! Serviette blanche sur la tête, Burna Boy réapparaît, foulant à pied le terrain sablonneux de l’espace lagunaire. Entouré d’une escouade non identifiée, il balance des épaules et se dirige à nouveau vers la scène, mimant l’attitude d’un boxeur avant un combat. « Il revient !! Allez, on l’accompagne tous vers la scène », tonne un agent de sécurité. Abiola Sani-Agatha connait bien la star : le producteur du festival est resté en contact permanent avec la mère de l’artiste, Bose Ogulu, manager en cheffe et présente à tous ses concerts, la seule à même de le raisonner.
Il est tout de même 3 h 45 quand les premières notes de Gbona résonnent à nouveau. Le public, toujours présent en masse, vrombit quand la voix de Burna Boy se fait enfin entendre au sud d’Abidjan. Des fans jettent des vêtements, et un drapeau de la Côte d’Ivoire, dont l’artiste s’empare prestement. Nouvelle acclamation. Tout est pardonné. Burna Boy adresse même une confession aux milliers de spectateurs, pas rancuniers : « Je suis de mauvaise humeur, donc vous avez intérêt à tout retourner ! ».
L’artiste retire son t-shirt, exhibant un corps athlétique, et enchaîne les tubes issus de ses sept albums : Ye, Jerusalema (remix), Money Play, Rock Your Body, On the Low… et enfin Last Last, au terme duquel deux spectatrices au premier rang explosent en pleurs. Il est quasiment cinq heures du matin, et les premières lueurs du jour accompagnent les effluves chocolatés de la zone 4.
Les quatre techniciens qui ont dormi tout au long de la soirée sous la scène principale – épuisés par le montage express en 48H de la grande estrade et des deux écrans géants – n’ont rien su de ce psychodrame qui s’est joué pendant plus de deux heures au-dessus de leur tête, mais le public, lui, est passé par toutes les émotions.
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