Survivre aux géants de l’industrie alimentaire, c’est possible à Moncton

La survie des épiceries et marchés indépendants demeure un combat quotidien. Mais les récents événements, comme la pandémie et la menace de tarifs américains, sont des éléments qui leur ont donné un second souffle.

De plus en plus, les consommateurs délaissent les géants de l’industrie alimentaire au profit des petits joueurs.

Un sondage du laboratoire analytique agroalimentaire de l’Université Dalhousie révèle que ce sont les épiceries indépendantes qui ont gagné le plus de terrain en termes de confiance des consommateurs.

Les producteurs agricoles sont toujours en tête du classement avec une note de 4 (sur une échelle de 5). Les marchés et épiceries locales ont fait un bond en avant pour se retrouver avec une note de 3.40, alors que les grandes chaînes ferment la marche avec un indice de 3.10.

«Il y a beaucoup de petits détaillants qui offrent quand même des bonnes aubaines. Avec l’inflation, les gens ont commencé à se promener de plus en plus entre les différentes épiceries», souligne Sylvain Charlebois, directeur du département.

«On a de plus en plus de nomades comme consommateurs. Il y a donc de belles opportunités qui se présentent pour les indépendants.»

Le plus important pour ces entreprises, c’est de trouver une façon de fidéliser leur clientèle.

«Les grandes bannières ont des programmes de loyauté très agressifs. L’avantage concurrentiel des indépendants, c’est qu’ils peuvent offrir des monopoles à leurs fournisseurs pour certains produits, en échange de prix plus bas.»

Du côté de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), on parle d’un tout nouveau contexte économique qui est en train de se développer.

Et dans ce contexte, l’optimisme est une denrée rare.

«Les données que nous avons recueillies durant le mois de mars montrent que l’optimisme des entreprises, de façon générale, est à la baisse. En fait, les entrepreneurs sont au plus bas de leur optimisme depuis qu’on récolte des données (2007)», explique le vice-président pour l’Atlantique, Louis-Philippe Gauthier.

«Les gens et les entreprises sont en train de s’adapter aux demandes des consommateurs. Mais je n’ai pas de boule de cristal pour le futur. »

La clé du succès pour les petites entreprises, selon lui, c’est de satisfaire les demandes des consommateurs.

«Tout dépend de la façon dont l’entreprise se positionne. Si on prend l’exemple de l’épicerie Rinzler’s, à Moncton, c’est clair qu’ils ont leur propre niche et leur clientèle.Tant que l’entreprise est en mesure de trouver une façon de se différencier des gros, les opportunités sont là.»

Jeff Rinzler, gérant de l’épicerie Rinzler’s. – Acadie Nouvelle: Stéphane Paquette

Depuis la pandémie, beaucoup de gens se sont tournés vers des entreprises locales.

«Pour nous, l’important est de mettre en valeur l’offre de service et les produits des petites et moyennes entreprises. Si un consommateur dépense un dollar dans une petite entreprise qui appartient à des intérêts locaux, il y a 66 sous qui vont se retrouver dans l’économie locale, comparativement à seulement 11 sous si c’est une multinationale», raconte Louis-Philippe Gauthier.

Selon lui, les petites épiceries peuvent demeurer compétitives.

«Ça dépend en bonne partie du travail acharné de l’entrepreneur, de sa capacité à trouver des fournisseurs qui lui permettront de tenir compte de la capacité du consommateur de payer», précise-t-il.

«Ce n’est pas nécessairement vrai que lorsqu’on achète dans une petite entreprise, que ça va coûter plus cher. Il faut aussi tenir compte de la valeur ajoutée d’être plus près du client qui est très important.»

Depuis quelques semaines, le réflexe protectionniste des consommateurs canadiens donne un second souffle à des PME qui avaient de la difficulté à joindre les deux bouts.

«On l’a vu au courant des dernières semaines. La réaction des consommateurs qui expriment leur désir d’acheter des produits canadiens. Dans bien des endroits, l’affichage de nos produits est mis bien en évidence», mentionne le vice-président.

«Ça montre à quel point les consommateurs ont leur mot à dire et que les entreprises réagissent en conséquence.»

Prioriser les produits locaux

Eula Laporre, Kenza Benrazzouk, Roksolana Myhovych et Stephanie Gwillas (en avant), du marché Dolma. – Acadie Nouvelle: Stéphane Paquette

Hossein Barar est tombé en amour avec le Canada et la ville de Moncton en 1990. Toutes ces années plus tard, cet amour pour sa communauté d’accueil et pour les produits locaux est toujours visible dans son entreprise située sur la rue St. George.

Le marché alimentaire Dolma, lancé en 2010, est rapidement devenu le cœur et le point d’attache de tous les résidents du quartier situé juste au nord de la rue Main.

Selon lui, il est encore possible de survivre dans une mer dominée par les géants de l’alimentation en 2025.

«Vous devez savoir qui vous êtes et ce que vous voulez. Quand nous avons lancé cette entreprise il y a 15 ans, je ne l’ai jamais traité comme un simple commerce. Nous avons lancé un mode de vie. Je crois fermement dans la bonne nourriture produite localement», explique l’homme d’affaires d’origine iranienne.

Il affirme que c’est encore possible d’offrir des prix compétitifs sans avoir le volume des grandes chaînes.

«Certains des produits des grandes chaînes sont plus bas, mais la qualité des produits n’est pas la même. Ça ne m’intéresse pas de rivaliser avec eux en vendant ce genre de produits», souligne-t-il.

«Je dois bien sûr avec une certaine marge de profit pour réussir à payer mes factures, mais je ne serai jamais riche avec cette entreprise. Je veux plutôt garder ma marge de profit la plus basse possible pour offrir des produits à prix abordables.»

Il doit ce goût pour la nourriture fraîche de son enfance en Iran.

«J’ai eu la chance de grandir dans une famille qui croyait au bienfait d’une nourriture saine, fraîche et de qualité. Cette bonne habitude est restée avec moi à ce jour.»

Il a d’ailleurs une anecdote savoureuse à raconter à ce sujet.

«Quand je fréquentais l’université en Turquie, je me souviens qu’on allait faire des emplettes au marché local. On achetait tellement de produits qu’ils pensaient qu’on possédait un restaurant! Même si nous étions seulement des étudiants, c’était important pour nous de bien nous nourrir», raconte Hossein Barar.

«Quand je suis arrivé au Canada en 1990, j’ai trouvé ça très difficile de trouver de la bonne nourriture fraîche. Je ne voulais pas des mets raffinés, seulement des bons produits locaux. C’est à ce moment que j’ai commencé à regarder la possibilité d’ouvrir une épicerie locale.»

La réponse des agriculteurs et des fournisseurs locaux a été unanime dès le départ.

Et même quand il ne peut utiliser des producteurs locaux, il s’assure que les produits qu’il achète eu Europe proviennent de petites entreprises qui fabriquent tout eux-mêmes. C’est notamment le cas des pâtes qui sont importées d’Italie.

Il estime que plus de 50% de ses produits sont locaux durant l’hiver. En été, on parle de plus de 75%.

Pour lui, il est primordial d’encourager les producteurs et les entrepreneurs locaux.

«Je n’ai jamais vendu une seule pomme qui ne provenait pas de la région de Moncton. Je ne sais pas pourquoi je devrais acheter des pommes des États-Unis puisque les meilleures sont ici. Dans mon épicerie ,j’ai moins de 1% de produits qui proviennent des Américains», souligne-t-il avec un grand sourire.

«J’achète tout ce qui peut pousser dans la province. Je n’ai jamais rien vendu d’aliments verts (laitue, piment, échalotes, etc.) qui provenaient de l’extérieur de Moncton. Je travaille avec mes fermiers. Nous jouons pour la même équipe», avance-t-il.

«Je les connais tous et pas un est millionnaire. Ce sont des gens qui travaillent dur et qui ont un style de vie très modeste. Mais ils croient dans ce qu’ils font et ils sont passionnés.»

Son entreprise a été complètement ravagée par un incendie en 2016 et c’est à ce moment qu’il a réalisé son importance pour les gens du quartier.

«Je n’ai jamais eu l’impression que c’était mon épicerie. L’affiche dit: votre marché du centre-ville. J’en fais simplement la gestion. Les gens me disent ce qu’ils veulent et j’essaie de tout faire pour leur procurer à un bon prix», précise l’homme d’affaires.

Dolma fabrique aussi une bonne partie de ses produits, comme le pain, les soupes, les salades ou des mets préparés congelés.

«Prenez la soupe au poulet. La plupart des autres entreprises utilisent du bouillon ou de la poudre comme base. Nous, on achète des poulets locaux, on les fait bouillir pendant 24 heures et c’est avec ça qu’on fait nos soupes. Je ne connais pas beaucoup de monde qui aurait la patience de faire ça», rigole-t-il.

«Depuis le premier jour, j’ai le sentiment que cet endroit appartient à la communauté qui l’entoure. Je passe beaucoup de temps ici, mais je n’ai jamais l’impression de travailler. Je ne serai pas ici éternellement et je veux laisser quelque chose de bien derrière moi pour les prochaines générations. Notre histoire n’en est pas une de succès, mais simplement de survie.»

Faire ses courses dans une épicerie locale: un mode de vie

Louis Haché effectue des emplettes au marché Dolma. – Acadie Nouvelle: Stéphane Paquette

Leslie Ann Berry se pointe régulièrement au marché Dolma. Pour la résidente de Shediac, faire ses courses dans des épiceries locales est un mode de vie.

«J’aime acheter des produits locaux pour encourager les entreprises de chez nous. Il y a aussi la qualité des produits qui est supérieure. Ça ne me dérange pas du tout de payer un peu plus pour certains produits», explique-t-elle.

«Je pourrais faire toute mon épicerie ici si je voulais, mais j’aime visiter d’autres petites épiceries aussi.»

Louis Haché partage ce goût des petits marchés de quartier.

«Ils ont beaucoup de produits locaux et des produits qui sont différents des autres marchés alimentaires», souligne le résident de Dieppe.

Il se dit prêt à payer quelques dollars de plus pour encourager les commerces locaux plutôt que les grandes chaînes.

«Ça touche directement la création d’emplois au niveau local et je trouve important de promouvoir l’économie locale de Moncton et du Nouveau-Brunswick», souligne-t-il.

Il ne trouve évidemment pas tout ce dont il a besoin dans des petites épiceries de quartier comme le marché Dolma, mais il estime que les consommateurs devraient faire un effort pour encourager les marchés locaux.

«Je crois que les produits du terroir sont de meilleure qualité et plus frais. Ils sont aussi plus sains pour l’environnement parce qu’il y a moins de transport. Les raisons sont nombreuses pour acheter local.»

À l’épicerie Rinzler’s, le gérant Jeff Rinzler s’affairait à placer des produits fraîchement emballés dans les présentoirs réfrigérés.

Il croit fermement qu’il y a encore une place pour les petites épiceries dans un marché largement dominé par les géants.

«Nous avons été chanceux jusqu’à maintenant. Depuis la pandémie, les affaires ont littéralement explosé. Je dois dire que je n’ai aucune explication logique pour ça. C’est un mystère pour moi, mais on ne se plaint certainement pas», souligne-t-il en souriant.

La tradition de l’entreprise située sur le chemin Mountain (fondée en 1961) explique sans doute en partie la fidélité de sa clientèle.

«Nous sommes probablement la dernière épicerie familiale à Moncton. Je crois que beaucoup de gens n’aiment pas faire leur épicerie dans des endroits immenses. Je pense que c’est aussi un facteur important.»

Il croit que c’est encore possible de rivaliser avec les grandes surfaces au niveau des prix.

«Nous sommes certainement compétitifs. Nous avons un bon volume, mais on se spécialise surtout dans certains produits, comme la viande. Nous vendons beaucoup de bœuf et de porc», précise Jeff Rinzler.

«On prend ça un jour à la fois, mais on espère être encore ici longtemps.»

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