Les propriétaires de lots boisés du Nouveau-Brunswick craignent que la guerre commerciale entre le Canada et les États-Unis ait des conséquences désastreuses sur leur industrie. Certains d’entre eux risquent carrément de jeter l’éponge, selon le président de leur fédération.
Rick Doucett demeure à Nasonworth, une petite communauté située près de Fredericton. Depuis qu’il a acheté des lots boisés, à la fin des années 1980, il a été témoin des hauts et surtout des bas de son industrie.
Aujourd’hui, il est le président de la Fédération des propriétaires de lots boisés du Nouveau-Brunswick. Il ne passe pas par quatre chemins lorsqu’on lui demande comment va son industrie.
En ce moment, on reçoit à peu près le même prix pour le bois qu’en l’an 2000. Imaginez donc de vivre dans un monde où vous recevez des prix de l’an 2000 avec des dépenses de 2025. C’est un peu difficile de faire des profits
, répond-t-il.
Rick Doucett peut se permettre d’appuyer sur pause, vu qu’il a un emploi à temps plein. Mais il met en garde que de nombreux autres propriétaires ne peuvent pas attendre et risquent de devoir jeter l’éponge.
Photo : Radio-Canada / Pascal Raiche-Nogue
Il explique que les petits producteurs ont été malmenés au cours des dernières années, notamment par l’imposition de tarifs punitifs en 2017 par les États-Unis. Selon lui, ce sont souvent les petits entrepreneurs qui écopent lorsque de tels défis se présentent.
La guerre commerciale qui fait rage en ce moment tombe donc bien mal. Il craint qu’on leur demande de vendre leur bois moins cher et voit difficilement comment les propriétaires de lots boisés et les opérateurs de machinerie pourront s’accrocher.
Les marges sont tellement minces en ce moment que je ne crois pas que les producteurs pourraient continuer avec des prix plus bas. Je pense qu’ils survivent, un chargement à la fois et qu’ils ont de la difficulté à payer les factures. Toute tentative de leur demander d’absorber les tarifs pourrait avoir des conséquences désastreuses.
Un géant a déjà rajusté le tir
Un géant de l’industrie au Nouveau-Brunswick, J.D. Irving, a déjà avisé les producteurs qu’ils doivent s’attendre à des changements en raison de l’incertitude économique actuelle
.

J.D. Irving a récemment avisé ses fournisseurs qu’elle ne renouvellera pas les contrats d’approvisionnement jusqu’à nouvel ordre. L’entreprise pointe du doigt l’incertitude économique actuelle (photo d’archives)
Photo : Radio-Canada / Sophie Langlois
Dans une note envoyée il y a deux semaines, l’entreprise leur a annoncé qu’elle ne renouvellerait pas et ne prolongerait pas les contrats existants et ce, jusqu’à nouvel ordre.
Lorsque le contrat d’approvisionnement d’un producteur se terminera, toute livraison supplémentaire sera payée au prix du bois affiché. Un prix qui peut changer rapidement et sans avertissement.
Ils ne disent pas qu’ils n’achèteront plus de bois, mais ils n’offriront pas un prix garanti pendant six mois ou un an
, explique le professeur d’économie forestière Michel Soucy, de l’École de foresterie de l’Université de Moncton (campus d’Edmundston).

Michel Soucy est professeur d’économie forestière au campus d’Edmundston de l’Université de Moncton
Photo : Radio-Canada / Yves Levesque
Il croit d’ailleurs que J.D. Irving ne sera pas la seule entreprise à rajuster le tir. Mais toutes les entreprises ne s’y prendront pas nécessairement de la même manière, selon lui.
Même s’ils [les autres acteurs de l’industrie] ont des ententes avec les propriétaires de boisés pour les prochains mois, ces ententes-là peuvent être appelées à changer sans préavis. […] La capacité de respecter les ententes comme on l’avait dans le passé, pour les mois à venir, je peux pas voir comment les entreprises vont le faire. ll y a trop d’incertitude et c’est la survie de l’entreprise qui va en dépendre
, explique-t-il.
Peu d’options pour les propriétaires de lots boisés
Michel Soucy et Rick Doucett s’entendent pour dire que les propriétaires de lots boisés auront très peu d’options lorsque les acheteurs leur offriront des prix moins élevés en raison des tarifs.
Ceux qui en ont les moyens – par exemple parce qu’ils ne dépendent pas des revenus tirés de leurs terres – peuvent décider de ne pas récolter de bois pendant quelque temps.
Ils risquent plutôt de dire « bien, à ce prix-là ou étant donné les situations actuelles, je ne coupe pas de bois, c’est pas rentable, ça fait pas de sens. » Mais ils vont conserver le lot
, dit Michel Soucy.
Mais tous les intervenants de l’industrie n’ont pas cette marge de manœuvre. Les propriétaires de terres et les entrepreneurs qui ont de la machinerie spécialisée – et très dispendieuse – ne peuvent pas nécessairement attendre.

Des appareils spécialisés comme cette abatteuse mécanique coûtent cher. Les joueurs de l’industrie qui ont de la machinerie de ce genre risquent de ressentir de la pression en raison de l’incertitude actuelle, selon des intervenants (photos d’archives)
Photo : Radio-Canada / Michel Nogue
C’est des machines qui atteignent le million de dollars à l’achat. Le paiement à la banque avoisine mille dollars par jour. Donc quand c’est ça ton paiement à la banque, tu as besoin de travailler. Ces entrepreneurs-là, on oublie à quel point ils ont des investissements majeurs et combien ils ont besoin de travailler
, note ce professeur.
Rick Doucett abonde dans le même sens. Il explique qu’il est de ceux qui peuvent faire preuve de patience. Il a un emploi à temps plein et ne doit pas absolument récolter du bois chaque année, mais cela ne l’empêche pas à remettre en question son avenir dans ce secteur.
Je peux décider de ne pas vendre [de bois] à ce prix-là. Mais il y de très nombreuses personnes dans notre secteur qui ont beaucoup d’équipement, ils ont des employés. Ils n’ont pas l’option de dire non. À un point, ça n’a plus de sens économiquement parlant. Si les prix sont trop bas, ils vont juste faire faillite
, dit-il.
Rick Doucett se demande souvent s’il ne devrait pas jeter l’éponge et faire autre chose de ses terres, par exemple les développer afin que des maisons puissent y être construites.
De nombreux propriétaires, dont moi-même, se demandent s’il y a une occasion de développement. Est-ce qu’il y un autre usage pour ces terres boisées, au lieu de faire pousser du bois dans ce marché dégonflé.
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