Titans technologiques, bouleversements numériques, érosion démocratique : un scénario pour les midterms de 2026 aux États-Unis

Que peut-il se passer lors des élections de mi-mandat de 2026 aux États-Unis, alors que Donald Trump sera au pouvoir depuis presque deux ans ? Les consultants Floriane Bénichou et Clément Lamy se livrent à un exercice prospectif, échafaudant un scénario en quatre phases dans lequel la tech joue un rôle crucial, posant ainsi la question des répercussions de celle-ci sur la démocratie et les systèmes économiques.

De la prospective pour cette quatrième note de l’Observatoire de la tech et du numérique ! La cible : les États-Unis de Donald Trump. L’objectif : les élections de mi-mandat de 2026. Que peut-il se passer, quelles nouvelles fractures peuvent se dessiner ? Quid d’éventuels bouleversements et quid de la tech dans le « Maga-country » ? Floriane Bénichou et Clément Lamy, consultants et fondateurs du cabinet de conseil LBAdvisory, prennent la plume pour nous livrer un scénario fondé sur des analyses sourcées, le tout découpé en quatre grandes phases. La tech y joue un rôle crucial. On y retrouve bien évidemment les géants du secteur, Elon Musk, le « bouffon sous kétamine » pour reprendre la formule de Claude Malhuret, mais également des thématiques liées aux terres rares, nécessaires pour disposer de puces graphiques, au cloud ou aux usages trumpiens de l’intelligence artificielle. Écrit sans fioritures et progressant d’une manière implacable, ce texte se lit d’une traite. On pourra ne pas être d’accord avec telle ou telle assertion, trouver que ce scénario en fait trop sur certains points ou pas assez sur d’autres, là n’est pas le problème. En effet, derrière cela se pose une fois de plus la lancinante question des répercussions de la tech sur la démocratie et les systèmes économiques.
Marie-Virginie Klein, présidente du cabinet de conseil iconic., et François Backman, codirectrice et codirecteur de l’Observatoire de la tech et du numérique.

Le scénario qui suit est entièrement spéculatif, mais s’inspire toutefois des tendances et tensions du monde réel. Il propose des développements politiques potentiels ou plausibles, des conséquences économiques et des réactions sociales basés sur des précédents historiques, des tendances actuelles et des données disponibles. À travers cet exercice, on examine notamment comment les interactions complexes entre les personnalités politiques, les dirigeants d’entreprise et les progrès technologiques pourraient façonner les États-Unis demain. Dans cette esquisse, la collision entre l’administration Trump, l’influence croissante d’Elon Musk à travers ses rôles fédéraux et entrepreneuriaux et le réalignement politique de l’industrie technologique déclenchent une crise multidimensionnelle avec des ramifications mondiales.

Notre scénario se déroule en quatre phases, déstabilisant la gouvernance américaine, fracturant les alliances internationales et redéfinissant les dynamiques de pouvoir politico-entrepreneurial. Parmi les développements clés figurent les réformes fédérales disruptives d’Elon Musk au DOGE (Department of Gouvernment Efficiency), le fameux Département de l’efficacité gouvernementale, l’escalade des guerres commerciales transatlantiques et le projet controversé AI Stargate de 500 milliards de dollars. Les droits de douane sur les semi-conducteurs de Donald Trump provoquent un effondrement de chaînes d’approvisionnement et des problèmes internes, tandis que la diplomatie parallèle d’Elon Musk auprès de certains dirigeants d’extrême droite européens met à rude épreuve la cohésion de l’OTAN. D’ici début 2026, ces forces aboutissent à une contraction économique, une érosion institutionnelle et une élection de mi-mandat déterminante qui redéfinit le paysage politique américain.

Première phase. Début 2025 : radicalité

Démantèlement de la bureaucratie fédérale et crises de conflits d’intérêts

La nomination de Musk en janvier 2025 à la tête du DOGE lui confère l’autorité d’éliminer 30% de la main-d’œuvre fédérale dans les six mois suivants. Cette décision provoque une réaction hostile de la part des fonctionnaires de carrière et des républicains modérés. Alors que l’administration Trump loue publiquement les tactiques de « PDG de temps de guerre » de Musk, les communications internes de la Maison-Blanche révèlent des inquiétudes concernant son leadership simultané sur Tesla et SpaceX, entreprises détenant 28 milliards de dollars en contrats fédéraux actifs. D’ici avril 2025, 18 procureurs généraux d’État lancent des enquêtes sur des conflits d’intérêts potentiels, en particulier concernant la directive de Musk visant à remplacer les contractants historiques de la NASA par des infrastructures SpaceX. Cette décision suscite des défis juridiques en vertu des lois fédérales sur les achats publics, les groupes de surveillance gouvernementaux soutenant que le double rôle de Musk viole les restrictions de l’article 18 paragraphe 208 du Code sur l’influence des intérêts financiers privés sur la fonction publique.

Guerres commerciales numériques et détérioration des relations avec l’UE

Le mémorandum de mars 2025 de l’administration Trump impose des droits de douane de 50% sur les taxes sur les services numériques de l’Union européenne (UE), ciblant plusieurs pays de l’Union pour ce qu’il qualifie d’« extorsion de la technologie des géants digitaux américains ». L’Union riposte en utilisant son Instrument anti-coercition, imposant des tarifs de 15% sur les services cloud américains et retardant l’approbation des nouveaux centres de données d’Amazon Web Services (AWS) à Francfort (Allemagne) et Milan (Italie). Microsoft rapporte une perte de 2,1 milliards de dollars en revenus du cloud européen au deuxième trimestre 2025, tandis qu’AWS reporte indéfiniment trois projets de centres de données initialement prévus en Europe. Musk aggrave les tensions en soutenant publiquement des partis d’extrême droite européens, ce qui lui vaut une résolution de censure formelle de la part du Parlement européen qui l’accuse d’« ingérence du secteur privé dans les processus démocratiques ». Ces événements surviennent alors que les négociations sur le Conseil du commerce et de la technologie UE-États-Unis sont au point mort.

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Deuxième phase. Mi-2025 : fragmentations et cristallisation

Schisme de la gouvernance de l’IA et la controverse Stargate

Le projet d’infrastructure d’IA Stargate de 500 milliards de dollars – annoncé en janvier 2025 en tant que partenariat public-privé – devient un point de friction pour les conflits réglementaires et idéologiques. Musk contourne le National Institute of Standards and Technology (NIST) pour mettre en œuvre des protocoles de sécurité accélérés en matière d’intelligence artificielle, ce qui attire l’attention de la présidente de la Federal Trade Commission, Lina Khan, qui lance un examen antitrust des contrats d’exclusivité du projet. Simultanément, l’Union européenne applique l’article 15 de son Acte sur l’IA (IA Act), gelant l’accès des entreprises américaines aux pools de données de l’UE jusqu’à ce que la conformité aux exigences de transparence soit vérifiée et avérée. La gouvernance de l’IA est désormais formellement découplée entre les continents : les systèmes américains privilégient un déploiement rapide dans le cadre de « l’innovation d’abord » (Innovation First) de Musk, tandis que les modèles européens appliquent des garde-fous éthiques stricts.

Droits de douane sur les semi-conducteurs et retombées économiques nationales

Le décret du président Trump de juin 2025 impose des tarifs de 60% sur les semi-conducteurs chinois, paralysant la fabrication technologique américaine en quelques semaines. La multinationale Nvidia rapporte une baisse de 22% de son chiffre d’affaires trimestriel sur le segment gaming, autrefois pilier financier de l’entreprise, en raison de la stagnation des livraisons de processeurs graphiques pour les centres de données tandis qu’Apple retarde la production de l’iPhone 17 en raison des perturbations de la chaîne d’approvisionnement provenant de Taïwan. En août 2024, des manifestations éclatent dans des usines de fabrication de semi-conducteurs en Arizona et au Texas, où 14 000 travailleurs risquent d’être licenciés. La plateforme X de Musk amplifie les attaques contre 34 législateurs républicains s’opposant aux tarifs douaniers, alors que des comités d’action politique (PACs) pro-Trump dépensent 47 millions de dollars pour contester les actions de ceux qu’ils qualifient de « traîtres antiprotectionnistes ». Ce conflit interne au Parti républicain atteint son paroxysme lorsque Mitch McConnell, sénateur du Kentucky, déclare publiquement que les tarifs douaniers risquent de « céder définitivement le leadership de l’intelligence artificielle à Pékin ».

Diplomatie de l’ombre et crise de crédibilité de l’OTAN

La rencontre non autorisée de Musk avec le Premier ministre hongrois Viktor Orbán en juillet 2025 pour discuter de « partenariats Internet sans censure » déclenche une crise au sein du Département d’État. Le secrétaire d’État, Marco Rubio, avertit Trump en privé que la diplomatie parallèle de Musk sape la crédibilité fédérale, en particulier après que la Pologne et les États baltes ont reporté des initiatives transatlantiques de cybersécurité par crainte de manipulation de la plateforme X. Les tensions s’intensifient lorsque Musk tweete son soutien à l’appel du leader d’extrême droite néerlandais Geert Wilders pour sortir de l’OTAN, poussant même le secrétaire à la Défense à le critiquer publiquement.

Troisième phase. Fin 2025 : érosion et contraction

Récession et paralysie fiscale

Au troisième trimestre 2025, le PIB américain se contracte de 1,8%, poussé par l’inflation induite par les droits de douane (7,6% en glissement annuel) et par les pénuries de main-d’œuvre fédérale retardant 120 milliards de dollars de subventions pour les infrastructures. L’Internal Revenue Service (IRS), l’agence fédérale chargée de recueillir les impôts, fonctionnant à 60% de sa capacité après les coupes budgétaires du DOGE, ne parvient pas à traiter 23 millions de déclarations fiscales d’ici octobre 2025, créant une crise de liquidité pour les petites entreprises dépendantes des remboursements. La proposition de Musk de remplacer le personnel fédéral par des « pods d’automatisation » (c’est-à-dire des preuves de livraison automatisées, en langage tech) alimentés par l’IA s’effondre après les échecs d’essais effectués dans les bureaux de l’administration de la Sécurité sociale : 340 000 dossiers de bénéficiaires sont effacés, y compris des demandes d’invalidité de vétérans. La Réserve fédérale répond avec une réduction d’urgence des taux de 75 points de base, mais les marchés de crédit restent alors gelés et Moody’s dégrade sévèrement la dette américaine en raison des « risques de gouvernance ».

Défections de l’industrie technologique et mobilisation électorale

Le réalignement politique de la Silicon Valley s’accélère fin 2025, avec Meta et Google qui redirigent les trois quarts des fonds de leurs comités d’action politique vers les candidats démocrates. Musk riposte en limitant les publicités de campagne démocrates sur X sous prétexte de « neutralité algorithmique », une tactique jugée ultérieurement illégale par la Commission électorale fédérale. Les travailleurs de l’usine Tesla de Fremont en Californie se syndiquent en décembre 2025 après que Musk a drastiquement réduit les avantages sociaux de santé pour compenser les pertes du projet Stargate. Cela marque la première victoire du syndicat United Auto Workers chez un grand fabricant de véhicules électriques. Ce bouleversement renforce les campagnes démocrates dans les circonscriptions à forte composante technologique, où les candidats qualifient les politiques de Musk de « féodalisme d’entreprise ».

Quatrième phase. 2026 : revirement : la Chambre et le Sénat sont de nouveau démocrates

Découplage technologique États-Unis-Chine et crise des terres rares

L’embargo de la Chine en janvier 2026 sur les métaux rares – représailles aux droits de douane sur les semi-conducteurs – paralyse la production de véhicules électriques dans le Michigan et le Tennessee, mettant au chômage 45 000 travailleurs. Les négociations secrètes de Musk avec Pékin pour exempter Tesla de sanctions se retournent contre lui lorsque des documents divulgués révèlent des concessions permettant aux inspecteurs chinois d’accéder aux usines de batteries basées au Texas. Le Pentagone annule 3,4 milliards de dollars de contrats Starshield, les satellites militaires de SpaceX, transférant les fonds à Lockheed Martin en raison d’inquiétudes concernant les « loyautés divergentes » de Musk.

Guerres de désinformation et menaces à l’intégrité électorale

Les protocoles d’intégrité électorale de la plateforme X – sous le contrôle direct de Musk – permettent une augmentation de 412% des deepfakes générés par l’IA ciblant les candidats démocrates d’ici février 2026. Le Partenariat pour l’intégrité électorale (Election Integrity Partnership) documente 87 cas où X amplifie algorithmiquement de fausses informations concernant les fermetures de bureaux de vote en Arizona, en Georgie et dans le Wisconsin. Des registres internes révèlent que des collaborateurs de Trump ont fait pression sur les ingénieurs de X pour qu’ils suppriment les appels à la participation électorale à Detroit et Philadelphie, tandis que Musk attribue publiquement les décisions de modération de contenu à des « algorithmes stochastiques » – traduction : il n’y est pour rien, ce sont les algorithmes qui sont fautifs. Ces développements érodent la confiance publique alors qu’une majorité d’électeurs dans les États indécis rapportent craindre des interférences électorales, selon les sondages d’opinion du Pew Research Center, le principal institut d’études américain.

Les élections de mi-mandat de 2026 : réalignement et règlement de comptes

Le « blitz » de dépenses de 2,1 milliards de dollars provenant de la Silicon Valley à l’occasion des élections de mi-mandat – dont 60% par l’intermédiaire de PAC démocrates, tels que TechForward – a permis d’inscrire sur les listes 4,7 millions de nouveaux électeurs de moins de trente ans, en ciblant les diplômés des banlieues pavillonnaires et les travailleurs de la tech syndiqués. La plateforme X de Musk subit une chute de 39% du nombre d’utilisateurs actifs quotidiens après les sanctions de la Commission fédérale électorale (FEC) pour le blocage des campagnes publicitaires, compromettant la portée et la force de frappe numérique du parti républicain.

Les démocrates reprennent plus de dix sièges à la Chambre, trois sièges au Sénat (Arizona, Wisconsin, Pennsylvanie), et remportent notamment plusieurs victoires décisives. En Californie, l’ancien PDG d’Intel Patrick Gelsinger (démocrate) détrône la représentante pro-Trump, en s’appuyant sur la syndicalisation de Tesla et les blocages de tunnels de la Boring Company de Musk. Au Texas, le candidat démocrate capitalise sur les licenciements de SpaceX et les pannes de Starlink pour détourner du vote trumpiste une grande partie des 120 000 employés du fameux corridor technologique de Dallas, qualifiant la politique douanière d’« auto-sabotage économique ».

Les femmes, notamment celles résidant dans les banlieues pavillonnaires, et les anciens combattants émergent comme des blocs importants dans cette dynamique. Certains discours masculinistes peuvent avoir choqué. On rejette également la hausse de prix des véhicules électriques due aux pénuries de terres rares et les coupes dans l’aide aux vétérans suggérées par les outils d’IA de Musk. Bien que les zones rurales de l’Iowa et de l’Ohio montrent une loyauté persistante envers le Make America Great Again, les pertes d’exportations agricoles dues aux tarifs de l’Union européenne affaiblissent les marges de manœuvre du parti républicain.

Conclusion : stress-tests institutionnels et contradictions non résolues

La fusion de l’esprit entrepreneurial disruptif d’Elon Musk et du nationalisme transactionnel de Donald Trump crée des trous noirs réglementaires – de la gouvernance de l’IA à la sécurisation des processus électoraux – que leurs adversaires exploitent. Si les élections de mi-mandat de 2026 freinent temporairement ces tendances grâce aux gains démocrates, de nouveau soutenus par certains acteurs de la tech, les problèmes systémiques sous-jacents restent non traités : érosion des compétences de l’État fédéral, fragilisation des alliances internationales, absence de réel contrôle sur les entreprises du numérique. La trajectoire de ce scénario suggère qu’en l’absence de garde-fous institutionnels véritablement opérants, les États-Unis risquent d’entrer dans une ère de venture gouvernance, où la stratégie nationale devient quasi-totalement subordonnée aux intérêts entrepreneuriaux.

La rédaction de cette note a été terminée le 10 mars 2025.

 

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