TRAFIC DE COCAÏNE. Les Antilles-Guyane doivent avoir du répondant face aux inventifs trafiquants

En décrivant le cheminement de la cocaïne, entre les pays d’Amérique du Sud et l’Europe, le maître de conférences Thierry Nicolas a écrit, en mars dernier, dans The Economist : « Les territoires européens d’Outre-mer offrent une voie facile vers l’UE ». Dès lors que le Surinam a mis des garde-fous pour intercepter les mules, les trafiquants se sont en effet tournés vers la Guyane, puis le Guadeloupe et la Martinique, pour faire passer leur drogue. Le 100% contrôle de passagers dans les aéroports a permis d’enrayer ce phénomène. Mais les cartels ne cessent de s’adapter. Les gouvernements doivent faire de même, vie leurs dispositifs de sécurité.

C’est un sujet important que le Centre d’analyse géopolitique et internationale (CAGI) et l’association Contacts et Recherches Caraïbes (Coreca) ont décidé d’aborder, ce samedi matin (4 mai 2024), en visioconférence : « Les mules dans le trafic de cocaïne aux Antilles-Guyane ». Ce rendez-vous avait pour orateur principal Thierry Nicolas, maître de conférences en géographie à l’Université de Guyane, qui a contribué à un article sur cette thématique, paru dans le magazine d’actualité britannique « The Economist ».

Devant un faible nombre de participants, Thierry Nicolas a présenté ses travaux.
L’enjeu est de taille. Les mécanismes des trafiquants, qui s’adaptent continuellement aux dispositifs de lutte déployés par les pouvoirs publics internationaux, peuvent et doivent être enrayés. Or, il s’avère que, depuis quelque temps, les territoires français du bassin caribéen, notamment, font office de plaques tournantes de leurs méfaits.
Ils sont des portes d’entrée vers l’Europe et, sur place, où la précarité gagne du terrain, les mules sont faciles à recruter, malgré les risques.

La drogue devait sortir de sa zone de production sud-américaine, pour atteindre les pays d’Europe. Le Surinam était un temps un passage obligé.
Selon le maître de conférences Thierry Nicolas, le phénomène de redirection des cargaisons, en passant par la Guyane, a fait son apparition dans les années 2000.

Le phénomène de mules se développe en Guyane, suite à la redirection d’une partie du trafic entre le Surinam et Amsterdam. Ce, à la suite de la mise en place de mesures de sécurité beaucoup plus importantes, dans le cadre de la politique du 100% contrôles instauré par les Pays Bas, entre la fin de l’année 2003 et le début de l’année 2004.

Thierry Nicolas, maître de conférences en géographie à l’Université de Guyane


Thierry Nicolas, maître de conférences en géographie à l’Université de Guyane.


Dès lors, la totalité des bagages des passagers ont été scrutés, au grand dam des trafiquants, qui ont décidé de contourner les dispositifs ainsi mis en place.

La Guyane, limitrophe du Surinam, est alors devenue le nouveau point d’embarquement, à destination du marché européen.
Le trafic a plus que doublé de volume, entre 2017 et 2018 ; le nombre de mules interceptées en Guyane ou à l’arrivée dans l’Hexagone est passé de 608 à 1349 en un an. La quantité de cocaïne saisie a presque été multipliée par trois, en deux ans.


Evolution du nombre de passeurs interpellés.


En réaction, les autorités françaises ont dupliqué les procédures de contrôle surinamaises et hollandaises, en instaurant, au départ de l’aéroport de Cayenne, un contrôle de 100% des passagers à destination de Paris. Les contrevenants tombent aussi sous le coup d’un arrêté préfectoral d’interdiction d’embarquer. Ainsi d’octobre 2022 à octobre 2023, 10.000 passagers se sont vus interdire l’accès à un vol trans-Atlantique.

À partir de 2023, le trafic des mules va se déporter vers les Antilles françaises. 47 mules, dont 30 in corpore (ingestion de balles de cocaïne), ont été interceptées par les Douanes, au départ de Pointe-à-Pitre.

Le résultat est sans appel, pour les territoires impactés : le taux d’occupation des prisons des Antilles-Guyane a drastiquement augmenté, tandis que des personnes sont décédées, après que des balles de cocaïne ont éclaté dans leur corps.

La Guadeloupe n’a pas eu d’autre choix que de suivre l’exemple guyanais : depuis mars 2024, le 100% contrôle des passagers est aussi mis en œuvre à l’aéroport « Pôle Caraïbes ». Depuis, 25 personnes se sont vues notifier un refus d’embarquer.

Une partie des passagers redirigée vers les Antilles Françaises a eu cette stratégie de contourner les vols transatlantiques. Mais, rapidement, les autorités se sont adaptées. Finalement, ce flux s’est tari. Les migrants, notamment Nigérians, qui avaient trouvé cette voie de contournement, eux aussi ont rapidement disparu (…) Donc, ce qui est valable quelques mois disparaît, puis une nouvelle configuration prend forme.

Thierry Nicolas, maître de conférences en géographie à l’Université de Guyane

Cette rapide évolution rend les activités et la logique des trafiquants difficile à suivre.

Les fruits de la mobilisation des forces impliquées dans la lutte contre le trafic de stupéfiants sont récoltés. Le nombre d’interpellations diminue au sein des plateformes aéroportuaires.
Les réseaux vont devoir trouver d’autres voies de passages que la Guyane, la Guadeloupe ou la Martinique, pour ce qui est des mules in corpore.

À défaut, les trafiquants continuent de se retourner vers la voie maritime, qui demeure, à ce jour, la principale voie d’acheminement de la cocaïne vers le marché de consommation européen.
Ce mode opératoire permet d’ailleurs le déplacement de plus grosses quantités de drogue, que les mules.

Le trafic par conteneurs est, aujourd’hui, le moyen de transport de cocaïne le plus important. La cocaïne est cachée dans les marchandises, mais aussi dans la structure du conteneur lui-même, notamment dans les parois. Ce type de trafic va prendre une ampleur beaucoup plus grande. Il est difficile, pour les autorités, de contrôler l’ensemble des conteneurs d’un navire. Et, donc, par effet de saturation, les trafiquants arrivent régulièrement à faire passer des quantités de cocaïne vraiment impressionnantes.

Thierry Nicolas, maître de conférences en géographie à l’Université de Guyane

De fait, les saisies opérées ces derniers mois ne représentent qu’une goutte d’eau, dans un ensemble de stupéfiants beaucoup plus vaste.

Pour autant, des moyens sont mis, notamment au sein du Grand port maritime de la Guadeloupe, pour intensifier les fouilles de conteneurs. Une démonstration avait été faite, lors de la visite ministérielle dans l’archipel de Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics.

Le bras de fer se poursuit donc, entre les trafiquants et les pays d’Europe, dont la France. Le fait est que plusieurs autres territoires de la Caraïbe subissent le même fléau et le fait d’être des canaux pour la cocaïne.

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