Appelant à la construction d’un État-nation, Thérence Gnembou Moutsona* plaide pour l’unité et exhorte les autorités de la transition à jeter les bases d’un véritable État-nation au Gabon. L’immense défi consistant à bâtir un cadre institutionnel reposant sur une nation unie autour de valeurs communes, condition sine qua non pour «tourner sereinement la page» du passé, il appelle à la prudence face aux nombreuses propositions issues du dialogue national, certaines étant selon lui trop marquées par l’émotion du moment. Il prône à cet effet une approche mesurée, privilégiant la réconciliation plutôt que des mesures «punitives» contraires aux principes démocratiques.
Le Gabon a rendez-vous avec l’histoire. La chute du régime Bongo le 30 août dernier nous a ouvert la possibilité d’une union nationale et d’un réveil démocratique que nous n’osions plus espérer depuis bientôt 56 ans. Les Gabonais doivent à leur pays, à leur avenir, à leurs enfants de ne pas manquer cette chance de fonder un Gabon nouveau.
Le défi est immense puisqu’il s’agit de bâtir un Etat-nation. A la difficulté de concevoir un nouveau cadre institutionnel s’ajoute celle de s’assurer qu’il repose sur le socle solide d’une Nation unie par des valeurs et des aspirations communes, désireuse d’aller de l’avant ensemble. Une tâche délicate qui suppose de passer outre les sentiments naturellement exacerbés par l’histoire récente et la tentation de mesures démagogiques pour constamment garder à l’esprit la finalité de l’exercice, à savoir bâtir un cadre propice à l’unité et l’adhésion à un projet de société commun.
A nos décideurs, il faudra donc savoir prendre de la hauteur face aux nombreuses recommandations issues de la concertation initiée par le Président de la Transition. Près de 40.000 contributions ont été collectées dans le cadre de la consultation citoyenne, traduisant l’immense aspiration au changement des Gabonais – et encore peut-on regretter que seules les contributions écrites aient été prises en compte, excluant de facto les populations moins alphabétisées, dans les zones rurales notamment.
Quant au dialogue national qui s’en est suivi, malgré les réserves qui ont pu être émises quant à certains aspects de l’organisation de l’événement – désignation directe des participants par le CTRI, limitation de la participation des partis politiques à un unique représentant par parti, restriction des débats aux seuls thèmes prédéfinis par les organisateurs –, près de 600 représentants y ont activement participé, dont un représentant du Parti du Réveil Citoyen (PRC) que j’ai l’honneur de diriger, avec des débats riches, certes parfois tendus, mais toujours dans le respect et dans une démarche constructive.
A la clé, près d’un millier de propositions dans les domaines économique, social et politique ont été soumises au Président de la Transition. Il est évident que si toutes méritent d’être prises en considération et vont aider à définir les fondements de notre vivre-ensemble, néanmoins toutes n’ont pas vocation à être gravées dans le marbre de notre future législation. De fait, prises à chaud, certaines traduisent un sentiment épidermique en réaction au passé davantage qu’une réflexion inspirée par une vision de long terme. Il convient donc de considérer toutes ces recommandations avec discernement pour en comprendre l’esprit sans nécessairement en retenir la lettre.
Ce doit être le cas notamment des propositions concernant l’introduction de nouvelles conditions d’éligibilité plus restrictives, l’inéligibilité des cadres du PDG ou le projet de suspension des partis. Ces propositions sont compréhensibles à ce stade de notre histoire : elles traduisent une attente fondamentale, à savoir le besoin de solder le passé.
Pour autant, en l’état, de telles mesures seraient problématiques. D’abord, sur la forme s’agissant des deux dernières, puisqu’elles posent un problème de cadre législatif : elles ne relèvent pas de la Constitution mais ne peuvent pas davantage faire l’objet d’une loi, la Justice ne pouvant prononcer de peines qu’individuelles et non collectives. Ensuite, sur le fond pour l’ensemble de ces recommandations, puisque purement défensives et punitives, elles sont contraires au principe d’unité nationale et à la renaissance démocratique auxquels aspire le Gabon. Sans doute ces propositions, tout comme la tentation d’un régime hyper-présidentiel, tiennent-elles à un défaut de culture démocratique après 56 ans de culture autocratique. Mais rappelons qu’un dialogue national qui se veut inclusif ne saurait en aucun cas déboucher sur des exclusions et que la restauration des institutions et de la démocratie démantelées par le régime déchu ne peut passer par de nouvelles mesures liberticides, contraires à l’expression plurielle. Refuser à une partie de la population le droit de se présenter, laisser à l’Etat le soin de décider en amont du profil des candidats reviendrait à nier le principe même de la démocratie ouverte et participative que nous appelons de nos vœux. En démocratie, la sanction d’un parti ou d’un responsable se joue dans les urnes. Ne privons pas nos concitoyens de ce droit, laissons-leur plutôt leur libre arbitre et faisons-leur confiance pour, le moment venu, éclairés dans leurs choix par une presse libre et indépendante, élire les candidats qu’ils jugeront les plus aptes, les plus méritants et les plus conformes aux valeurs nationales.
Toutefois, le besoin de regarder le passé en face et de ne plus traiter par l’ignorance des sujets restés douloureux doit être entendu. Nous ne pourrons pas durablement faire l’économie d’une Commission Vérité et Réconciliation ou d’un dispositif équivalent de justice restaurative inspiré de pays comme l’Afrique du Sud, où il a fait la preuve de son utilité. Une telle instance nous permettrait d’engager une introspection salutaire, pour examiner le passé sans complaisance mais sans haine et établir les responsabilités. Si des sanctions doivent être prononcées à l’encontre des responsables, elles devront l’être dans le cadre d’une justice indépendante et renforcée dans ses prérogatives. Espérons également que cette Commission conduise à la repentance et au pardon, ouvrant la voie à la nécessaire réconciliation de tous les Gabonais. En l’absence d’une telle démarche, impossible de nous tourner sereinement vers l’avenir : différer ce travail sur le passé revient à différer toute projection vers l’avenir.
Dans le même esprit, la circonspection est de mise face aux mesures préconisées à l’encontre des étrangers : instaurer un quota d’étrangers au Gabon, donner la priorité aux PME nationales, nationaliser la sous-traitance…
La tentation du néonationalisme et la stigmatisation des étrangers se comprennent en réaction à des faits conjoncturels et à des comportements individuels. Pour autant, une fois encore, prenons garde à ne pas fixer dans le marbre des mesures formulées à chaud, dans l’émotion du moment, mais fondamentalement peu conformes à nos valeurs. N’oublions pas que les étrangers ont eu leur part dans le développement de notre pays et gardons-nous de toute mesure hâtive et définitive. Préférons la régulation à l’exclusion et le bon sens à la coercition.
Ces demandes doivent en revanche s’interpréter comme une aspiration à rendre à nos valeurs et nos traditions leurs lettres de noblesse, valoriser notre patrimoine, développer nos talents, accroître notre rayonnement, en un mot restaurer notre fierté nationale : autant d’attentes qui devront être entendues et prises en compte par nos futurs dirigeants.
De manière plus générale, s’agissant des sujets économiques et sociaux, les préconisations nombreuses qui ont été soumises – redéfinition de la politique industrielle du pays, valorisation des productions locales, renforcement de la formation professionnelle, hausse des budgets et infrastructures de santé.… – méritent la plus haute considération sans qu’elles aient nécessairement à être figées dans un cadre législatif.
Ces préconisations doivent être vues comme un signe d’inquiétude des Gabonais, inquiétude légitime avec des taux de 40% de chômage et 35% de pauvreté, et un appel à prioriser les immenses défis socio-économiques auxquels doit faire face le pays, avec une gouvernance optimisée et une responsabilité accrue de la part des dirigeants sur ces sujets.
Néanmoins, ces questions relèvent traditionnellement du projet sur lequel se fait élire un Président de la République, qu’il faut donc laisser libre de ses arbitrages le moment venu pour qu’il puisse déployer sans compromis le projet de société sanctionné par le suffrage universel. Attention par conséquent à ne pas s’enfermer dans une feuille de route trop directive.
Au demeurant, il est important que nos concitoyens soient conscients qu’avec des ressources drastiquement limitées par l’endettement du Gabon et par la très faible diversification de notre économie, la marge de manœuvre du futur Président de la République sera fortement réduite et son action contrainte par le principe de réalité. Le Président de la Transition ne saurait trop les alerter sur ce point pour prévenir toute déception.
C’est donc dans ce contexte très particulier d’un pays en pleine effervescence, qui aspire au renouveau démocratique et à l’unité nationale sans encore en maîtriser parfaitement les codes, que le Président de la Transition doit à présent étudier les propositions de ses concitoyens et choisir sur quelle base légiférer en vue de la restitution du pouvoir aux civils à laquelle il s’est engagé lors de sa prestation de serment le 4 septembre.
Cet arbitrage, il va devoir l’effectuer avec courage et discernement, sans rien céder à la dictature de l’émotion, et en ayant plus que jamais à cœur la réconciliation et l’esprit de concorde qu’il prône depuis sa prise de pouvoir.
Car une fois encore, l’enjeu n’est pas seulement dans la construction d’un Etat mais également dans la construction d’une Nation, Nation qu’aucun projet d’infrastructures ni aucune mesurette démagogique ne suffira à cimenter.
Éprouvée par le passé mais pleine d’espérance pour son avenir, notre Nation doit se construire sur une restauration mémorielle et spirituelle et sur l’adhésion à un objectif commun pour le pays dans un environnement de paix et de démocratie.
Thérence Gnembou Moutsona
*Thérence Gnembou Moutsona est le Président-fondateur du Parti du Réveil Citoyen (PRC), un parti politique gabonais créé en 2020. Il a été candidat à l’élection présidentielle gabonaise en août 2023 et a occupé le poste de Vice-Président de la Plateforme d’opposition Alternance 2023 en octobre 2022. Avant son engagement politique, il a travaillé dans le secteur privé, notamment au sein du groupe Optorg, où il a occupé des postes de direction au Gabon et en France.
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