un appel téléphonique fait-il le printemps ?


Un coup de téléphone. Voilà ce qui sonnait comme un petit évènement politique au début du mois d’avril en Côte d’Ivoire. Alassane Ouattara et son ancien Premier ministre Guillaume Soro se seraient entretenus pour la première fois depuis cinq longues années. « Ce n’est pas un poisson d’avril. La prochaine fois, ça sera en Côte d’Ivoire. L’élection présidentielle de 2025 n’est plus loin » : voici les mots signés sur la plateforme X le 4 avril par l’intéressé en exil. Si le camp présidentiel s’est également félicité de cette nouvelle avancée, le retour au pays de Guillaume Soro reste pour l’heure hypothétique.

Une carrière politique placée sous le signe de la tourmente

Parler de réputation sulfureuse serait un euphémisme pour qualifier Guillaume Soro. Cet homme de 51 ans né dans le nord de la Côte d’Ivoire a su tracer sa propre trajectoire durant deux décennies de crises. Au cours de sa formation à l’université Félix Houphouët-Boigny, il s’affirme politiquement et prend la tête de l’influent syndicat étudiant FESCI. Au moment du coup d’État de 1999, il s’oppose naturellement à Robert Guéï pour soutenir Alassane Ouattara.

L’accession à la présidence de Laurent Gbagbo au tournant de 2000 marque sa première période d’exil. Depuis l’étranger, il participe activement à former une opposition de rebelles autour des Forces nouvelles, dont il est le secrétaire général. Rapidement, ces hommes en armes mènent plusieurs opérations visant à déstabiliser le pouvoir en place. Au moment de la formation d’un gouvernement de réconciliation en 2003, son poids politique lui permet d’endosser successivement plusieurs fonctions de ministre.

Toutefois, c’est en 2007 que la carrière de Soro change de dimension, il devient Premier ministre de Gbagbo – l’homme qu’il entendait combattre – à la suite de l’accord de Ouagadougou. Les élections tardives de 2010 donnent Ouattara vainqueur ; fidèle à ses premiers engagements, il démissionne pour être ensuite reconduit par le nouveau président. En 2012, sa nomination à la présidence de l’Assemblée nationale en fait l’un des personnages les plus influents de l’État ivoirien.

Mais déjà à cette époque les bruits courent : Soro nourrirait des ambitions cachées. En 2017, des mutineries éclatent dans plusieurs villes du pays, dont Abidjan. Parmi les mutins, de nombreux anciens membres des Forces nouvelles. Les soupçons portant alors sur Soro sont aggravés par la découverte d’un arsenal de guerre dans une propriété appartenant à son directeur de protocole. De ces évènements découle une atmosphère de suspicion jusqu’à son procès en 2020 pour atteinte à la sécurité de l’État. De nouveau en exil, sa condamnation par contumace est sans appel : la prison à perpétuité.

Les conditions d’un retour

C’est dans ce contexte pour le moins mouvementé que Guillaume Soro laisse planer l’idée d’un retour. Pour l’heure, il semblerait que celui-ci enchaine les déplacements dans plusieurs pays du Sahel tels que le Burkina Faso ou le Niger, s’affichant auprès du général Tiani. Si certaines rumeurs parlent d’une mobilité liée à une santé chancelante, il est probable que l’homme prenne le pouls d’une région où la donne politique a radicalement changé depuis son départ. Ces échanges avec les autorités de transition sont pour lui l’occasion d’actualiser son discours et de sonder ses potentiels soutiens.

Des soutiens, il n’en a en tout cas jamais manqué en Côte d’Ivoire. Bien que son mouvement Générations et Peuples Solidaires (GPS), lancé en 2019 ait été récemment dissous, au quotidien, c’est une myriade de petits groupes qui portent sa parole. Dans un café du sud d’Abidjan, Amakou Koffi Euloge, raconte son engagement depuis vingt-cinq ans au côté de celui qu’il estime être un homme de combat. Ce vice-président du mouvement Jeunesse pour Soro de la commune de Koumassi organise régulièrement avec ses équipes des réunions de sympathisants et anime un vaste réseau sur Facebook et WhatsApp. Selon lui, ce sont plusieurs milliers de personnes qui – dans la capitale économique – s’intéressent de près à l’offre politique de Soro. « Je pense que l’horizon 2025 est crédible. Nous qui travaillons depuis longtemps sur le terrain, croyons fermement au retour de notre mentor. »

Certains signaux semblent donc être au vert pour le potentiel candidat. Le secrétaire exécutif du parti présidentiel RHDP, Ibrahim Bacongo qualifiait récemment la reprise de contact entre Ouattara et Soro de « bonne démarche qui va dans le sens de la réconciliation nationale ». Des propos qui viennent s’ajouter à la salve de prisonniers graciés en ce début d’année 2024, dont bon nombre d’alliés de Soro. « Si Charles Blé Goudé et Laurent Gbabgo ont pu rentrer sans être inquiétés, il devrait en être de même pour notre candidat », plaide Amakou, le militant abidjanais. Le doute semble pourtant subsister pour Soro, qui affirmait il y a seulement six mois avoir fait l’objet d’une tentative d’enlèvement à l’aéroport d’Istanbul.

Un paysage politique flou à l’approche de 2025

L’objectif ne souffre d’aucune ambiguïté : c’est bien l’élection présidentielle de 2025 qui est convoitée par Guillaume Soro. Mais pour l’heure, le paysage politique de cette échéance reste relativement flou pour les Ivoiriens. Côté majorité, Alassane Ouattara tâte le terrain habilement. Celui qui estimait en 2022 – à l’occasion d’un entretien avec la presse internationale – ne pas être « à la recherche d’un job à 80 ans », se montre beaucoup plus discret sur la question. Pour ses proches collaborateurs, il est clair que le président de 82 ans doit être le candidat naturel du RHDP.

Concernant le PDCI – le parti d’opposition historique –, le candidat désigné Tidjane Thiam doit encore se faire connaitre du peuple ivoirien et prouver sa capacité à rassembler. Cet ancien banquier du Credit suisse et proche du monde des affaires souffre en effet de certaines critiques concernant sa longue carrière, trop éloignée de la Côte d’Ivoire. L’ancien président Gbagbo a quant à lui défrayé la chronique en faisant part de son intention de concourir à la présidentielle pour le compte de son parti le PPA-CI. Un adversaire pour le moment suspendu car inéligible au regard de sa condamnation.

Voilà l’autre enjeu pour Guillaume Soro, lui qui, contrairement à Gbagbo et Blé Goudé, n’a pas encore été officiellement acquitté par la justice ivoirienne. Malgré la détente demeure la menace de l’emprisonnement à son retour. Autre handicap majeur, à la suite de son procès en avril 2020, ce dernier avait été déchu de ses droits civiques pour une durée de cinq ans. Un statut qui pourrait perturber son dépôt de candidature dans les temps. L’homme préfère néanmoins s’en remettre à sa foi chrétienne, lui qui a déjà échappé à six assassinats : « Chaque chose a son temps », commente-t-il sobrement.

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