Un résidant du Cher a été expulsé du territoire français le 4 mai dernier. Une obligation de quitter le territoire qui pose question puisque cet homme de 45 ans est né en Côte d’Ivoire mais de père français et possède, par conséquent, la nationalité française.
Il vit en France depuis 40 ans, y travaille en CDI depuis 20 ans et a deux enfants nés sur le territoire français, pourtant, le 4 mai dernier, Patrick Loret-Decroix, un habitant du Cher, a été expulsé en direction de la Côte d’Ivoire, le pays d’où il est originaire et où il est né. « Aujourd’hui, on me dépose dans un pays qui est mon pays de naissance oui, mais pas le pays où j’ai grandi, où j’ai eu tous mes diplômes, où j’ai vécu toute ma vie, où j’ai toute ma famille », nous explique-t-il en appel vidéo.
Arrivé en France à l’âge de 7 ans, Patrick s’est toujours pensé ivoirien et était par ailleurs détenteur d’un titre de séjour renouvelé tous les 10 ans. En juillet 2023, il est incarcéré à la prison du Bordiot, à Bourges, suite à une condamnation pour des violences intrafamiliales. C’est au cours de l’audience devant le tribunal correctionnel du Cher qu’on lui notifie également son obligation de quitter le territoire (OQTF).
J’ai eu des galères dans ma vie oui, mais je n’ai jamais eu de soucis de travail ou de délinquance. Je ne suis pas un voyou ou un terroriste.
Souhaitant contester son expulsion, il prend alors contact avec une avocate vierzonnaise et explique à cette dernière qu’il est né d’un père français. Des mots qui font immédiatement sens pour Me Julie Dallois. Elle comprend alors que Patrick n’est pas seulement ivoirien, mais aussi français comme le stipule l’article 18 du Code civil : « Est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français. » Il découvre alors à 45 ans qu’il possède la binationalité franco-ivoirienne.
L’avocate contacte alors la préfecture pour l’en informer, fournissant l’acte d’état-civil du père et de son client. « On peut dire que c’est une présomption. Il faut ensuite prouver cette nationalité par des actes. C’est ce que nous sommes en train de faire. Nous sommes en cours d’établissement du certificat de nationalité française. Mais sur cette simple présomption, la préfecture aurait dû, puisqu’elle a été prévenue une semaine avant, suspendre la mise à exécution de cette obligation de quitter le territoire ».
Et quand bien même Patrick n’aurait pas été français, son avocate assure qu’il remplissait plusieurs conditions pour lesquelles il n’aurait jamais dû faire l’objet d’une OQTF: « Il cumulait trois critères: l’arrivée en France avant 13 ans, la présence régulière en France depuis l’âge de 6 ans, et le fait qu’il a deux enfants de nationalité française dont il s’occupe, en langage juridique on dit qu’il contribue à leur entretien et leur éducation. »
Malgré ces arguments, le 4 mai dernier, Patrick est conduit à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, six heures après sa sortie de prison. Une place dans un vol pour Abidjan l’y attend. Il tente alors de s’opposer physiquement à son entrée dans l’avion, espérant ainsi être conduit dans un centre de rétention, en vain. Patrick affirme avoir été violenté et contraint de monter à bord par la force. « Aujourd’hui, je me sens vraiment dans un état catastrophique moralement et psychologiquement. Je n’arrive toujours pas à me remettre de ce qu’ils m’ont fait. Ils m’ont jeté à l’aéroport comme un moins que rien. Je n’ai aucune attache familiale ici. Je me retrouve dans la rue et je le vis très mal. »
Informé de cette affaire ubuesque, le député NUPES du Cher Nicolas Sansu a interpellé le gouvernement le mardi 7 mai à l’Assemblée nationale. Alors qu’il pose une question au gouvernement sur le droit d’asile, il cite en « aparté » l’expulsion de Patrick et fait part de son indignation : « vous piétinez toutes les lois de la République parce qu’il vous faut faire du chiffre et qu’il est noir de peau. Et je peux vous assurer que le zèle de vos services déconcentrés au mépris de la loi va se fracasser sur les recours qui seront intentés », a-t-il lancé à la ministre des collectivités territoriales et de la ruralité.
Et bien que Dominique Faure explique ne pas avoir « le cas en tête », la ministre déléguée assume : « Si la personne sortait de prison (..) je trouve que nous avons fait tout ce que nous devions faire pour effectivement éloigner les étrangers délinquants de notre pays. » Et de tempérer par la suite : « Si ce monsieur est français évidemment, vous m’enverrez un petit email pour que je vois ce qu’il s’est réellement passé. Mais ça me surprendrait quand même qu’on éloigne un français du territoire français »
La mère de Patrick, qui vit en France, a prévu de le rejoindre prochainement afin de l’aider dans ce pays dont il ignore tout. Ses espoirs reposent désormais sur l’obtention du certificat de nationalité française que son avocate tente d’obtenir. « C’est kafkaïen. Il n’est pas français donc il ne peut pas aller au consulat où on lui dirait : « vous n’êtes pas français », puisqu’il n’a pas encore de certificat de nationalité. Et s’il se présentait à un embarquement pour un avion pour revenir sur le territoire, il est interdit de territoire pendant trois ans. Donc il doit rester en Côte-d’Ivoire si on n’arrive pas à débloquer cette situation. »
Contactée, la préfecture du Cher n’a pas souhaité répondre à nos questions, spécifiant ne pas « s’exprimer sur les situations individuelles ».
*Article écrit avec Meeraj Vinayagamoorthy
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