« Un instant, je me suis pris pour un pilote de F1 » : les sensations du comédien et pilote Stéphane De Groodt engagé sur le Grand Prix historique de Monaco ce week-end

Malgré sa dyslexie, c’est un jongleur de mots aussi habile que lunaire. Un comédien qui sévit dans les salles obscures, sur les scènes de théâtre et au petit écran. Un écrivain, aussi, auréolé du prix Raymond-Devos. Mais il y a une facette de Stéphane De Groodt que le grand public méconnaît sans doute davantage : celle de pilote automobile professionnel.

Durant 15 ans, de 1985 à 2000, le Belge a joué avec la vitesse dans diverses catégories, jusqu’à la Formule 3000, antichambre de la F1. Il y a peu, au Grand Prix de France Historique, il partageait symboliquement l’asphalte de Paul-Ricard avec Jacky Ickx, son idole de jeunesse, Jean Alesi ou encore Alain Prost.

Ce vendredi, c’est en tant qu’engagé du Grand Prix de Monaco Historique qu’on l’a retrouvé dans les paddocks. Transpirant, éreinté par les essais libres tout juste menés au volant d’une Maserati 250F de 1958. Interview.

Ce sont vos premiers tours de roues sur ce circuit mythique ?

J’ai piloté à Monaco il y a 1000 ans, en coupe Renault, le matin du Grand Prix. [rires] À la sortie des garages, je me souviens de cette foule venue assister à la F1. C’était impressionnant.

Aujourd’hui, je me retrouve dans la monoplace de Fangio au milieu de toutes ces merveilleuses voitures. C’est magique. C’est un privilège de rouler sur ce circuit à l’histoire si extraordinaire.


Vous n’avez rien perdu des sensations alors ?

Au début, je me suis dit que j’irai mollo puis on se laisse vite prendre au jeu de la compétition. C’est le piège. Une telle voiture ne tient pas bien la route, ne freine et ne tourne pas très bien. On me fait l’honneur et le plaisir de la piloter, alors il n’était pas question de prendre des risques pour aller chercher une seconde. J’ai donc dû calmer mes ardeurs et penser uniquement au plaisir du moment présent, sans enjeu. L’espace d’un instant, je me suis pris pour un pilote de Formule 1. Juste l’espace d’un instant. [rires]


Comment en êtes-vous venu à participer à ce week-end automobile ?

Au Grand Prix historique duCastellet, Laurent Vallery-Masson, qui m’avait invité à rouler en proto puis dans une F1 de chez AGS, m’a fait la surprise de me confier les clefs de cette voiture. Un cadeau absolument magnifique. Mario, le propriétaire, m’a appelé quelques jours plus tard pour me demander si j’étais libre pour le week-end à Monaco. Même s’il faut se lever très tôt le matin, je ne pouvais rater cette opportunité et j’ai évidemment dit oui. [sourire] Fangio a roulé dans l’un de ces modèles et a gagné avec. Je me dois d’honorer sa mémoire.

Il faut presque flirter avec l’inconscient


En 2022, avec Alpine, vous aviez testé la F1 d’Esteban Ocon lors d’un documentaire de Canal+. En matière de pilotage et de sensations, ce sont deux mondes qui s’opposent ?

C’est comme si vous compariez le ping-pong et le tennis. Dans cette F1, tout était extraordinaire au sens noble du terme mais c’est le freinage qui m’a le plus bluffé. Cela dépasse l’entendement, c’est-à-dire que votre esprit considère que ce n’est pas raisonnable et que vous devez donc aller au-delà de vos propres réflexes. Il faut presque flirter avec l’inconscient. Paradoxalement, elles sont plus faciles à piloter que les anciennes monoplaces qui demandent une certaine force physique, qui ne tournent pas et ne freinent pas… On se rend compte qu’à l’époque, ils roulaient comme des dingues pour faire des résultats.

Avec la Maserati, j’ai eu cette impression de prendre plus de risques qu’avec celle d’Esteban.


Le grand public vous connaît davantage comme comédien, moins comme pilote. Vous avez pourtant été professionnel pendant 15 ans. D’où vient ce virus de la course ?

À l’image de nombreux pilotes, je jouais aux petites voitures étant petit. Des gens m’ont fait rêver que ce soit dans le cinéma ou la course automobile : Jacky Ickx, Jean-Louis Trintignant, le mythe de Steve McQueen et Paul Newman. Je me suis autorisé à rêver à cela, à faire les deux. Au début, je pense que je n’étais pas très bon pilote et c’était plutôt l’image du pilote qui m’impressionnait. Au fil du temps, j’ai appris et j’ai commencé à gagner des courses.


Vous êtes parvenu jusqu’en F3000, antichambre de la F1. Que manquait-il pour grimper cette ultime marche ? Le niveau ? Les revenus ?

Il faut réunir un tel nombre de choses pour y accéder. J’ai démarré trop tard la course automobile, je n’avais pas de moyens financiers, je n’étais pas dans la filière. Mais je suis très heureux d’avoir atteint le niveau de la F3000. Honnêtement, je pense que je n’étais pas assez motivé car je voulais devenir comédien. Mais il n’y a pas eu de choix à faire. Je me suis consacré à ce métier après la compétition.

 « J’aime bien être à contre-courant


Dans une interview, vous avez déclaré être allé « à l’encontre de tous les codes sociaux ou familiaux de la course automobile ». C’est-à-dire ?

Les codes, ce n’est pas dans mon ADN. Certains les respectent, d’autres en inventent. Moi, j’aime bien être à contre-courant. On me disait que je ne pouvais pas être pilote ET comédien. Eh bien si. Ce qui est intéressant chez un « artiste », c’est d’avoir sa singularité, son petit truc à soi. En faisant ça, on brave les codes.


Le frisson est-il le même au lever du rideau qu’à l’extinction des feux ?

Complètement. L’émotion est tout aussi forte car on ne sait jamais ce qu’il va se passer. Il y a des similitudes, d’ailleurs : un public qui vient vous voir, la scène qui est la piste, un costume, un spectacle, des émotions… Au théâtre, quand 800 personnes vous attendent, il n’y a pas de filet. Le rideau se lève, c’est parti, on ne peut plus s’arrêter et faire marche arrière.


Est-il plus délicat de manier les mots que le volant ?

Les deux sont complexes et sont le fruit d’un travail. Manier le volant demande de l’expérience et de la technique. Manier les mots, c’est trouver le bon terme, la note juste.C’est vraiment du travail et je suis assez laborieux.

Senna avait un talent et une gueule de dingue


Ce samedi sera rendu un hommage à Ayrton Senna (et Roland Ratzenberger). Quelle image gardez-vous du pilote brésilien ?

C’est un mythe. Ça l’était avant son accident. Il se dégageait de lui quelque chose de mystique, au-delà du pilote. Il avait un talent et une gueule de dingue. Il cochait toutes les cases. Je suis en train de lire le formidable bouquin de Lionel Froissart, L’icône immolée, dans lequel il écrit à la première personne (celle d’Ayrton Senna). La première phrase, c’est « Demain, je serai mort ». Il raconte de l’intérieur ce par quoi il est animé jusqu’à son accident fatal. J’ai appris que le jour de l’accident de Ratzenberger, Sid Watkins, le médecin de la F1, dit à Ayrton Senna d’arrêter de rouler et d’annoncer sa retraite dès maintenant. Le lendemain, il est mort en course. C’est tragique. Il vivait pour ça, il est mort de ça.

Quelle est votre actualité ?

Dès septembre, je serai en tournée dans toute la France avec ma pièce de théâtre Un léger doute. Je prépare une autobiographie qui sortira à la fin de l’année. À partir de janvier, je serai au théâtre Édouard VII avec la pièce « La Vérité » de Florian Zeller. Enfin, je tourne un documentaire pour Canal+ sur la dyslexie et je suis dans la série « Terminal » de Jamel Debouzze.

Stéphane De Groodt au volant d’une Maserati 250F. Jean-François Ottonello.

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