Un nouveau carnage redouté au Darfour

La guerre civile déchire à nouveau le Soudan, un des plus grands pays d’Afrique. On dénombre des dizaines de milliers de morts, des millions de déplacés, et la famine menace : c’est une énorme crise humanitaire.




C’est la ville assiégée d’El-Fasher – avec ses 1,8 million d’habitants – qui inquiète les agences humanitaires. Si la ville tombe, on craint un bain de sang.

Les combattants qui disputent le pays à l’armée soudanaise encerclent la ville. Les combats font rage. Les hôpitaux ont fermé. Les vivres commencent à manquer.

Les « Forces de soutien rapide » (FSR), qui avancent sur El-Fasher, sont les successeurs des milices arabes, les janjawids, de triste notoriété, qui ont commis des massacres sur des tribus ethniques noires au Darfour depuis les années 2000.

Tactiques génocidaires

Utilisant les mêmes tactiques de terre brûlée qui ont horrifié le monde dès 2003, les FSR ont brûlé des milliers de maisons et fait fuir des dizaines de milliers de personnes.

En juin, le Conseil de sécurité des Nations unies a exigé qu’ils lèvent le siège sur la ville.

PHOTO ZOHRA BENSEMRA, REUTERS

Les civils fuient les violences. Ceux qui ont fui vers l’est ont marché jusqu’à 290 km en quête de sécurité, souvent à des températures frôlant les 50 °C.

Or, l’examen par le New York Times d’images satellitaires et de vidéos prises à El-Fasher prouve que l’assaut s’intensifie :

– Les FSR se filment souvent en train de célébrer l’incendie des quartiers dans leur poussée vers le centre de la ville.

– Durant cette progression, plus de 40 villages ont été brûlés près d’El-Fasher depuis avril. Certains ont été rasés exprès. D’autres ont pris feu lors des combats avec les forces gouvernementales.

– Plus de 20 000 bâtiments ont été endommagés ou détruits depuis que les FSR ont pris l’est de la ville.

– Les deux camps restreignent l’aide humanitaire : seulement 22 camions – pour 1,8 million d’habitants – sont parvenus à El-Fasher depuis trois mois.

– Avant même cette bataille, 500 000 déplacés vivaient dans des camps dans la ville et autour, certains depuis des années. Aujourd’hui, la famine menace et deux camps au nord d’El-Fasher sont en proie aux combats.

PHOTO MOHAMED ZAKARIA, FOURNIE PAR REUTERS

De plus en plus de femmes déplacées affirment avoir été violées durant leur périple vers les camps, quand les populations noires ont fui les combats. Assister à leur arrivée « fend le cœur, vraiment », a dit un médecin de l’ONG Care, en poste au Darfour.

Dans le camp Zamzam, au sud de la ville, un enfant meurt de faim toutes les deux heures, indiquait Médecins sans frontières (MSF) dès février.

Le New York Times a analysé des vidéos et des images satellites d’El-Fasher, ainsi que des images du Yale Humanitarian Research Lab et du Sudan Witness Project, un OSBL qui documente les crimes de guerre.

Hôpitaux visés

Elles prouvent que des milliers de maisons ont été systématiquement rasées et que des dizaines de milliers de personnes ont été forcées de fuir. Des vidéos montrent le traitement dégradant de captifs et la présence d’un chef des FSR récemment sanctionné par les États-Unis pour son rôle dans des exactions contre des civils.

Le 8 juin, un hôpital de MSF a dû fermer après une attaque des FSR, qui ont tiré sur le bâtiment, pillé du matériel et volé une ambulance.

PHOTO IVOR PRICKETT, THE NEW YORK TIMES

Baraa Ahmed, qui a 20 mois, se fait soigner dans un hôpital soudanais où sont traités des enfants souffrant de malnutrition. La guerre civile pousse plusieurs régions du pays, y compris le Darfour, vers la famine.

Devant la violence qui s’étend, les civils fuient vers l’ouest et d’autres régions du Darfour, selon des travailleurs humanitaires. Ceux qui ont fui vers l’est ont marché jusqu’à 290 km en quête de sécurité, souvent à des températures frôlant les 50 °C.

Même si la Cour pénale internationale demande qu’on documente les atrocités, les combattants ne se cachent pas. Dans une vidéo, on voit clairement un écusson des FSR.

L’armée soudanaise a elle aussi été accusée de crimes de guerre, surtout pour le bombardement aveugle de zones civiles, au canon et par avion. Le 11 mai, selon MSF, l’armée a bombardé une zone proche d’un hôpital pour enfants.

« Massacre à grande échelle » en vue

Le siège d’El-Fasher ressemble à l’approche des FSR ailleurs au Darfour, les assauts donnant lieu à des massacres ethniques, selon des experts.

En novembre 2023, quand les FSR ont pris El-Geneina, près de la frontière du Tchad, au moins 15 000 personnes ont été tuées en quelques jours, selon une enquête de l’ONU.

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des civils circulant parmi les décombres au marché d’El-Geneina, en avril 2023, à l’époque des premiers massacres dans cette ville du Darfour-Occidental.

Des quartiers entiers ont été rasés, à l’instar de ce qu’on observe depuis quelques mois dans les parties sud et est d’El-Fasher.

Dans toute la ville aujourd’hui, on craint un nouveau carnage.

En avril, Linda Thomas-Greenfield, l’ambassadrice américaine à l’ONU, a averti qu’El-Fasher était à deux doigts d’un « massacre à grande échelle ».

Aide humanitaire bloquée

La ville assiégée d’El-Fasher est aussi la plaque tournante de l’aide humanitaire dans cette région au bord de la famine.

Selon l’ONU 1,7 million de Darfouris souffrent déjà de la faim et les conséquences du conflit se répercutent sur toute cette région, grande comme l’Espagne.

PHOTO MOHAMED ZAKARIA, FOURNIE PAR REUTERS

Dans le camp Zamzam, au sud de la ville, un enfant meurt de faim toutes les deux heures, indiquait Médecins sans frontières (MSF) dès février.

Dans l’est du Darfour – où des milliers de déplacés ont fui les combats –, vivres et médicaments commencent à manquer, car la route d’El-Fasher a été coupée, selon les agences humanitaires. Au Darfour-Central, le commerce a cessé et le prix des aliments a doublé, selon Islamic Relief, un groupe d’aide œuvrant dans la région.

L’organisation des secours est mal financée. L’ONU a lancé un appel d’urgence de 2,7 milliards de dollars, mais a reçu moins de 20 % de cette somme.

Les autorités américaines accusent les deux belligérants d’utiliser la faim comme arme.

Commandants accusés

Plusieurs commandants des FSR qui ont fait la guerre ailleurs au Soudan participent au siège d’El-Fasher, selon des vidéos vérifiées par le New York Times et le Sudan Witness Project. Parmi eux, Ali Yacoub Gibril, chef des FSR dans l’État du Darfour-Central, qui a été sanctionné par le Trésor américain en mai pour son rôle dans des violences ayant fait des victimes civiles. Il a été tué le 14 juin, selon l’armée soudanaise.

PHOTOS TIRÉES DES MÉDIAS SOCIAUX, FOURNIES PAR THE NEW YORK TIMES

Ali Yacoub Gibril (à gauche) et Al Zeer Salem, un autre commandant important des FSR, dans deux vidéos tournées près d’El-Fasher et publiées sur les médias sociaux

Pour les FSR, révéler la présence de chefs bien connus montre l’importance d’El-Fasher à leurs yeux. Mais cela pourrait aussi documenter leur responsabilité dans les atrocités commises, affirme Matthew Gillett, professeur à l’Université d’Essex, qui a déjà travaillé pour des tribunaux internationaux.

Les vidéos montrant des dirigeants des FSR près de lieux où des civils ont été attaqués « pourraient servir à démontrer que ces commandants étaient conscients de la situation » et qu’ils exerçaient leur autorité, même si les exactions ont été commises par des subordonnés, dit M. Gillett.

« Ces vidéos d’El-Fasher pourraient devenir des preuves essentielles dans d’éventuels procès pour les crimes commis au Darfour. »

Cet article a été publié dans le New York Times.


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