Alors qu’une violente guerre fait rage au Soudan, le programme humanitaire canadien pour les familles soudanaises a repris après neuf mois de fermeture. La communauté demande que le Canada ouvre ses portes à davantage de Soudanais·es, accélère le traitement de leurs demandes et que le Québec accepte d’accueillir les familles de la diaspora sur son territoire.
Mardi, Immigration Canada a rouvert la Voie d’accès familiale à la résidence permanente pour les personnes touchées par le conflit au Soudan, après neuf mois de fermeture.
Le programme, initialement mis en place en février 2024 en réponse à la crise humanitaire au Soudan, est censé créer une voie d’accès prioritaire pour les Soudanais·es dont un·e membre de la famille directe est résident·e permanent·e ou citoyen·ne canadien·ne.
À peine trois mois après son entrée en vigueur, le programme avait été fermé parce que son plafond de 3250 demandes avait été atteint. Sous la pression de la communauté soudanaise, le programme rétabli prévoit d’augmenter son plafond à 5000 demandes, ce qui devrait permettre d’accueillir environ 10 000 personnes au total.
« Le nombre ne correspond pas à la réalité [d’une dizaine de millions] de personnes déplacées et de plus de la moitié de la population du pays ayant besoin d’aide humanitaire. »
Duha Elmardi, membre de la communauté soudanaise du Québec
Jusqu’à son dernier amendement ce mois-ci, le programme n’était pas accessible aux demandeur·euses ayant une ancre familiale au Québec, à cause du refus de la province d’adhérer à cette initiative fédérale. Le programme est désormais ouvert aux demandeur·euses ayant une ancre familiale au Québec, mais il exige que les demandeur·euses n’aient pas l’intention de résider dans la province.
Malgré de bonnes nouvelles attendues depuis longtemps, la communauté soudanaise déplore que le programme reste trop restreint par rapport à l’ampleur de la crise humanitaire au Soudan, laquelle est qualifiée de « l’une des plus tragiques de notre époque » par l’Agence des Nations unies pour les réfugié·es.
La communauté continue également de dénoncer les délais de traitement particulièrement longs et des exigences discriminatoires.
CRISE HUMANITAIRE AU SOUDAN
Le conflit en cours au Soudan a éclaté lors d’une tentative de coup d’État le 15 avril 2023, opposant les Forces armées soudanaises aux Forces de soutien rapide, une milice paramilitaire créée sous le régime de l’ancien président soudanais Omar el-Béchir.
Le conflit dépasse la seule guerre civile et s’inscrit dans une guerre par procuration, où plusieurs puissances étrangères rivales interviennent afin de défendre leurs propres intérêts. Les Émirats arabes unis sont particulièrement pointés du doigt pour leur soutien présumé, à la fois financier et militaire, aux violences de la milice.
D’après les Nations unies, en février 2025, plus de 18 800 civil·es auraient été tué·es depuis le début du conflit. Environ 12,5 millions de Soudanais·es sont victimes de déplacement forcé, dont la quasi-totalité à l’intérieur du pays ou dans des pays voisins, notamment en Égypte et au Soudan du Sud. Près de 30,4 millions de personnes ont besoin de soins de santé, de nourriture ou d’autres formes de soutien humanitaire.
Obstacles bureaucratiques
Au 31 décembre 2024, soit dix mois après l’entrée en vigueur du programme initial, seulement 805 personnes avaient été approuvées, sur les 7390 personnes incluses dans les 3250 demandes reçues par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC).
Amged Khalil, membre de l’Association des Soudanais·es canadien·nes du Québec (ASCQC), rapporte que beaucoup de personnes ayant postulé lors de l’ouverture initiale du programme, il y a un an, attendent toujours l’approbation de leur demande.
« Les délais bureaucratiques coûtent des vies », déplore Duha Elmardi, une Soudanaise québécoise qui attend d’être réunie avec sa famille. Au cours de la dernière année, avec l’escalade rapide du conflit, « certains membres de notre communauté ont perdu leur famille alors que leur demande était en cours de traitement », rapporte-t-elle.
Mayada Ageeb, membre de l’ASCQC, indique que de nombreux·euses demandeur·euses sont bloqué·es à l’étape de la collecte de données biométriques à cause du manque d’établissement opérationnel offrant ce service au Soudan. La communauté demande à IRCC de rétablir ce service dans les plus brefs délais ou de mettre en place des mesures alternatives.
Par courriel, IRCC répond « [reconnaître] les défis auxquels font face les demandeurs au Soudan et cherche des solutions pour y remédier », sans préciser davantage. IRCC souligne cependant que « la collecte de données biométriques fait partie intégrante […] de la vérification et de l’examen de l’identité et de la sécurité ».
Exigences discriminatoires
L’ASCQC dénonce le caractère discriminatoire du programme, qui contraste avec d’autres programmes humanitaires, où les personnes fuyant la violence bénéficient d’un soutien financier pour leur installation, comme cela a été le cas pour les ressortissant·es ukrainien·nes, haïtien·nes, colombien·nes, vénézuélien·nes, entre autres.
Dans le cas des Soudanais·es, tous les coûts liés à l’installation tombent sur les épaules de l’ancre familiale au Canada. Elle doit faire preuve d’une capacité financière suffisante pour subvenir aux besoins essentiels des demandeur·euses pendant un an.
Selon un barème établi par IRCC, par exemple, une personne-soutien qui souhaite parrainer deux membres de sa famille doit disposer d’un revenu d’au moins 36 576 $. Si ce minimum n’est pas atteint, elle peut combler la différence par ses économies.
Il s’agit d’un fardeau extrêmement lourd pour les membres de la communauté soudanaise canadienne, qui soutiennent déjà financièrement leur famille au Soudan depuis le début du conflit. Cette exigence élevée exclurait de nombreuses familles soudanaises à travers le Canada, selon l’ASCQC.
De plus, la communauté s’indigne de la capacité limitée du programme, surtout en comparaison avec la réponse du Canada à la guerre en Ukraine, qui a simplifié le processus de demande de résidence temporaire pour les ressortissant·es ukrainien·nes sans avoir imposé de plafond. La réponse canadienne à la crise au Soudan contraste aussi avec l’engagement du gouvernement d’accueillir 40 000 ressortissant·es afghan·es, qui a finalement permis l’arrivée de 55 195 personnes entre août 2021 et novembre 2024.
« Depuis longtemps, on a l’impression que notre peuple n’a pas d’importance. »
Mayada Ageeb, ASCQC
Par courriel, IRCC explique qu’en plus de rouvrir la Voie d’accès familiale, le Canada s’engage à réinstaller 4700 autres réfugié·es soudanais·es parrainé·es par le gouvernement et par le secteur privé d’ici la fin de 2026. Cela s’ajoute aux 1360 réfugié·es soudanais·es déjà arrivé·es au Canada entre le 23 avril 2023 et le 31 décembre 2024.
« Le nombre [de places] ne correspond pas à la réalité [d’une dizaine de millions] de personnes déplacées et de plus de la moitié de la population du pays ayant besoin d’aide humanitaire », critique Duha Elmardi.
Exclusion des Soudanais·es québécois·es
Parmi les 1700 demandes supplémentaires que le programme acceptera après sa réouverture, 500 seront réservées aux demandeur·euses ayant une personne-soutien au Québec. Mais ils et elles doivent s’installer dans une autre province que le Québec.
La communauté soudanaise du Québec apprécie ce changement, mais continue d’appeler le gouvernement du Québec à accepter d’accueillir les familles sur son territoire. « Nous allons continuer à revendiquer que le gouvernement du Québec nous écoute et nous reconnaisse comme des citoyens qui contribuent », affirme Mayada Ageeb, membre de l’ASCQC.
« Depuis longtemps, on a l’impression que notre peuple n’a pas d’importance », poursuit-elle.
Par courriel, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) du Québec répond que son refus d’accueillir les demandeur·euses sur son territoire « s’explique par le fait que le Québec contribue déjà beaucoup à l’effort humanitaire de façon générale, notamment en accueillant une grande part des demandeurs d’asile arrivant au Canada ».
Le MIFI a refusé de répondre à notre question concernant le nombre de gens qui composent la diaspora soudanaise dans la province et a renvoyé la question au ministère fédéral.
« 500 places pour toute la province, c’est rien », commente Amged Khalil. « C’est d’ailleurs nous qui payons pour nos familles. »
Crédit: Lien source