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Dix mois après le coup d’Etat au Niger, une crise diplomatique se cristallise entre les autorités nigériennes et béninoises. Le régime militaire de Niamey accuse son voisin d’abriter des « bases françaises » où seraient entraînés des « terroristes » en vue de « déstabiliser » le territoire nigérien. Dans ce contexte, des publications prétendent en apporter la preuve par l’image, diffusant plusieurs vidéos de militaires français. Mais ces visuels n’ont pas de lien avec les tensions actuelles ; ils sont anciens et sortis de leur contexte.
Depuis le coup d’Etat au Niger en juillet 2023, les relations diplomatiques entre Paris et Niamey n’ont cessé de se dégrader.
Les derniers soldats français déployés au Niger ont d’ailleurs quitté le pays le 22 décembre 2023, mettant fin à plus de dix ans de lutte antijihadiste française au Sahel (lien archivé ici). Mais le régime militaire au pouvoir soupçonne désormais la France de mener des opérations avec le Bénin pour déstabiliser son territoire.
Le 11 mai dernier, le Premier ministre nigérien Ali Mahaman Lamine Zeine a ainsi affirmé que Niamey maintenait sa frontière avec le Bénin fermée « pour des raisons de sécurité« , accusant les autorités béninoises d’abriter des camps militaires français où seraient « entraînés des terroristes » en vue d’attaquer le Niger (lien archivé ici).
« Nous avons souverainement décidé de garder notre frontière fermée avec le Bénin » car « sur le territoire du Bénin, il y a des bases françaises » et « sur certaines d’entre elles, on entraîne des terroristes qui doivent venir déstabiliser notre pays« , a alors déclaré le Premier ministre.
Le Bénin a rouvert sa frontière avec le Niger après l’annonce, fin février 2024, de la fin des sanctions économiques imposées à Niamey par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) (lien archivé ici). Mais les autorités militaires au pouvoir au Niger n’ont jamais rouvert les leurs.
Pour rappel, après le coup d’Etat, la Cedeao avait imposé des sanctions et brandi la menace d’une intervention militaire au Niger, dont elle avait annoncé la préparation, pour rétablir l’ordre constitutionnel. Cette décision avait alors été soutenue par la France. La Cedeao a depuis fait marche arrière et levé les sanctions en vue d’un apaisement diplomatique. Mais le régime militaire au Niger s’inquiète toujours de la possibilité d’une éventuelle intervention militaire depuis les pays voisins.
Ces rumeurs sur une base militaire française ont été démenties à plusieurs reprises ces derniers mois, à la fois par les autorités béninoises et françaises (lien archivé ici).
Cependant, le régime militaire nigérien n’en démord pas, cristallisant une crise diplomatique ouverte entre le Niger et le Bénin.
En parralèle des nouvelles accusations du Premier ministre Ali Mahaman Lamine Zeine, des internautes comme la télévision nationale nigérienne ont diffusé des images appuyant ses propos, en particulier sur Facebook et X. Mais attention, ces vidéos montrant des soldats français sont anciennes et ont été sorties de leur contexte.
Des bases militaires françaises au Bénin ? Les autorités béninoises et françaises démentent
Existe-t-il bel et bien des bases militaires françaises implantées au Bénin ?
« Ce sont des affabulations« , a déclaré auprès de l’AFP le porte-parole du gouvernement béninois, Wilfried Léandre Houngbédji, le 21 mai. « Notre pays, contrairement au Niger jusque dans un passé récent, ne dispose d’aucune base militaire étrangère« , a-t-il assuré.
« Par contre, dans notre stratégie de prévention et de lutte contre le terrorisme, nous avons commencé à construire depuis 2022, soit avant le coup d’Etat au Niger et avant sa brouille avec ses partenaires français et américains, de petits camps militaires à travers le pays, notamment dans les zones frontalières avec Burkina-Faso et le Niger. En effet, les tentatives d’incursions jihadistes que nous enregistrons proviennent essentiellement de ces deux pays« , a précisé le représentant béninois.
« Il est clair que notre pays n’abrite aucune cellule terroriste sur son sol et, par conséquent, ne forme pas de terroristes pour aller attaquer un autre pays« , dément par ailleurs Wilfried Léandre Houngbédji, spécifiant que le Bénin a « organisé des immersions sur le terrain au profit de journalistes béninois et étrangers qui ont pu voir ces camps.«
Du côté des autorités françaises, selon le chef d’état-major des armées françaises, le général Thierry Burkhard, cité par le site du gouvernement béninois lors d’une visite en décembre 2023, « il n’y a pas de base militaire française au Bénin« , et pas « non plus de mission militaire permanente« .
Cette déclaration a été récemment confirmée à l’AFP par l’Etat-major des Armées, le 16 mai.
Une vidéo tournée au Mali
Depuis le début du mois de mai, des comptes Facebook basés en Afrique de l’ouest (Mali, Burkina Faso…) prétendent pourtant montrer des images de soldats français actuellement installés dans une base militaire située dans le nord du Bénin, à la frontière avec le Niger.
Sur cette vidéo d’une durée de 45 secondes, des dizaines et des dizaines d’hommes et de femmes en tenue militaire marchent dans la même direction. On les entend s’exprimer en français dès la 13ème seconde : « Ça va ? C’est fini ?« , lance une voix au timbre masculin.
« Voici un des ‘petits camps militaires destinés à sécuriser le Bénin’ dont parle le porte-parole du gouvernement béninois pour justifier la présence des forces françaises dans le Nord du pays« , avancent certains messages en légende (1,2,…).
Mais attention, cette vidéo est décontextualisée. Ces images ne sont pas récentes. Elles avait déjà fait l’objet d’un article de vérification publié par le média malien Benbere en juin 2021 (lien archivé ici).
A cette période, de nombreux posts Facebook prétendaient qu’elle était la preuve du retrait des forces françaises du Mali.
D’après le lieutenant-colonel Patrick Simo, porte-parole à l’époque de la force Barkhane contacté par la rédaction de Benbere, il n’en était rien. Selon lui, la vidéo était en réalité « un extrait filmé lors d’une opération majeure (…) tenue en mi-mai 2021 à Hombori, dans un camp. Nous étions plus de 2 000 hommes sur le terrain, c’est normal que cela fasse du monde« , expliquait-il il y a près de trois ans, auprès du média malien.
Hombori est une localité située au Mali, bien loin du Bénin.
La France a été militairement présente entre 2013 et 2022 au Mali, proie des groupes jihadistes qui sévissent aussi dans d’autres Etats sahéliens.
Mais les relations se sont considérablement dégradées depuis deux coups d’Etat militaire en août 2020 et mai 2021. Poussée dehors par la junte, l’armée française a quitté définitivement le Mali en août 2022.
Ces images ne sont donc pas d’actualité et n’ont rien à voir avec la crise diplomatique engagée entre le Niger et le Bénin contrairement à ce qu’affirment, à tort, de nombreux internautes sur Facebook.
Un reportage ancien
En parallèle de la vidéo décontextualisée que nous vérifions, l’Office de radiodiffusion télévision du Niger (ORTN), média d’Etat nigérien, a diffusé le 10 mai dernier un sujet télévisé visionné plus de 17.000 fois sur sa page Facebook (lien archivé ici).
« Contrairement à la version des autorités béninoises, le nord Bénin abrite bien une base secrète française« , avance la voix-off dès les premières secondes de la vidéo, assurant pouvoir se baser sur plusieurs témoignages.
La télévision publique nigérienne s’appuie notamment sur les images d’un reportage du média français Le Média… qui date en réalité de janvier 2023, comme le souligne son auteur sur X, le journaliste Thomas Dietrich (lien archivé ici).
« La télévision publique du #Niger a utilisé (et tronqué) un de mes reportages pour faire croire qu’il y aurait une base secrète de militaires français au nord du #Bénin« , a-t-il déclaré le 12 mai (lien archivé ici).
« Mon reportage au nord du Bénin date de janvier 2023, soit six mois avant le putsch contre Mohamed Bazoum. Les militaires français présents à Kandi n’avaient donc pas pour objectif de déstabiliser le pouvoir nigérien, à l’époque très francophile« , précise le journaliste.
A l’époque du reportage, le Niger abritait d’ailleurs des bases militaires françaises et américaines sur son territoire. C’est après le coup d’Etat qui a renversé le président élu Mohamed Bazoum en juillet 2023, que le régime militaire a exigé le départ des soldats de l’ancienne puissance coloniale française, puis américains. Les derniers soldats français ont quitté le sol nigérien le 22 décembre. Le désengagement américain a débuté et doit s’achever avant le 15 septembre 2024.
Le reportage du journaliste Thomas Dietrich, tournée en janvier 2023, n’atteste d’ailleurs pas d’une base militaire française mais de la présence d’instructeurs de l’armée française dans le nord du Bénin, à Kandi.
Son enquête interroge sur le rôle effectif des militaires français présents au Bénin, sans apporter une réponse claire : sont-ils seulement des instructeurs ? Ou opèrent-ils directement au côté de l’armée béninoise ?
En décembre 2023, le chef d’état-major des armées françaises, le général Thierry Burkhard, affirmait que « dans le cadre du partenariat militaire opérationnel, il y a des détachements français opérés avec l’armée béninoise« . Ces derniers « répondent à des besoins exprimés et dès la fin des missions, ils quittent le territoire« , avait-il précisé répétant qu’il n’y avait pas de base militaire française au Bénin.
Plusieurs publications (1,2) sur le site de l’Ambassade de France au Bénin attestent d’ailleurs de la présence d’instructeurs de l’armée française au Bénin au cours de plusieurs missions (archivées ici et ici).
En juillet 2022, en visite officielle au Bénin, le président français Emmanuel Macron avait déclaré que « la France sera toujours aux côtés des autorités béninoises pour faire face » à la menace terroriste. Sur le plan sécuritaire, « nous serons au rendez-vous pour répondre à vos demandes en termes de formation et d’équipement« , s’était-il adressé au président béninois Patrice Talon. Il avait notamment affirmé avoir accéléré la coopération entre les deux pays « pour détacher, former, planifier des opérations » (discours archivé ici).
Les régions septentrionales du Bénin, du Togo et du Ghana subissent depuis quelques années des attaques et incursions de combattants du groupe Etat islamique (EI) et d’Al-Qaïda qui prospèrent au Sahel et cherchent à descendre vers le sud (lien archivé ici).
Si la région frontalière avec le Burkina Faso dans le nord reste l’épicentre des attaques sur le sol béninois, la frontière avec le Niger est récemment devenue une source d’inquiétudes, notamment depuis le renversement du président nigérien Mohamed Bazoum par les militaires en juillet 2023.
En réaction à cette menace croissante d’attaques sur son sol, le Bénin a lancé en janvier 2022 l’opération « Mirador« , un déploiement de quelque 3.000 soldats chargés de sécuriser les frontières du pays. Il a aussi entamé il y a quelques mois le recrutement de 5.000 soldats supplémentaires pour renforcer la sécurité dans le nord.
Les autorités béninoises, qui ne communiquent que très rarement sur ces attaques, faisaient état en avril 2022 d’une vingtaine d’incursions depuis l’autre côté des frontières depuis 2021.
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