Une centrale hydroélectrique fissurée fera-t-elle craquer les finances du N.-B.?

La centrale hydroélectrique la plus importante du Nouveau-Brunswick est fissurée dans ses moindres recoins. Elle est essentielle. Sans cette centrale, Énergie NB doute qu’elle puisse subvenir seule aux besoins des Néo-Brunswickois. Sa réparation coûtera de 7,6 à 9 milliards de dollars, selon les dernières estimations. Ce sera un boulet pour la société de la Couronne qui croule sous une dette de 5,4 milliards.

Le mégaprojet, qui doit durer deux décennies, pourrait débuter en 2027, bien qu’il reste encore plusieurs étapes à franchir. Et la somme, trois fois supérieure à la réfection de la centrale nucléaire de Point Lepreau, en fait déjà sourciller plus d’un.

La centrale hydroélectrique de Mactaquac a été inaugurée en 1968.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Cammarano

La centrale hydroélectrique a été inaugurée en 1968. La société de la Couronne a récemment permis une visite exclusive à Radio-Canada avec plusieurs de ses experts pour constater son état.

Trop de fissures pour les compter

À l’extérieur, il est devenu impossible de compter les fissures, trop nombreuses, sur plusieurs sections des murs en béton qui forment le barrage. Des grilles en métal déposées sur la partie supérieure de certains murs servent à retenir les morceaux de béton qui pourraient se détacher.

La cause principale de ces fissures est la réaction alcaline des agrégats. Cette réaction chimique entre l’eau et certaines composantes du béton fait gonfler le béton jusqu’à ce qu’il se fissure.

Le problème, constaté pour la première fois dans les années 1980 et moins connu qu’aujourd’hui, est si important que plusieurs outils, construits et conçus par des ingénieurs de la centrale, servent aujourd’hui à mesurer les mouvements du béton.

Difficile d’imaginer un avenir sans Mactaquac

L’idée de ce projet, c’est donc de réparer une centrale largement fissurée, mais aussi d’une importance capitale pour la société de la Couronne.

Il est très difficile d’imaginer un avenir sans que Mactaquac soit remis à neuf, dit en anglais Darren Murphy, dirigeant principal des finances et vice-président principal des services d’entreprise et des grands projets chez Énergie NB.

Darren Murphy sur le barrage de Mactaquac.

Darren Murphy, dirigeant principal des finances et vice-président principal des services d’entreprise et des grands projets chez Énergie NB.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Cammarano

Il s’agit de la centrale hydroélectrique la plus importante au Nouveau-Brunswick, loin devant les autres pour ce qui est de la production.

Toutes centrales confondues, celle de Mactaquac ne représente toutefois que 12 % de la production d’Énergie NB. Sa production d’énergie renouvelable est constante. Énergie NB se tourne vers elle lors des périodes de fortes demandes.

La centrale, qui se trouve à Keswick Ridge, près de Fredericton, devait avoir une durée de vie utile de 100 ans, soit jusqu’en 2068.

Mais, son état actuel ne le permettra pas, selon Énergie NB. C’est la raison pour laquelle la société de la Couronne se lance dans ce mégaprojet de rénovation qui fait l’objet de discussions, de consultations et de réflexions depuis déjà au moins 25 ans.

Il n’y a pas beaucoup de temps pour attendre. Il y a un sentiment d’urgence pour ce projet.

Une citation de Darren Murphy, vice-président principal des grands projets, Énergie NB

Selon lui, il est aussi impossible de ne rien faire, puisque si la centrale était désaffectée, il y aurait des dépenses importantes pour rétablir le site et pour acheter l’équivalent de son apport en électricité. En tout, cela coûterait plus cher que le projet actuel.

Il va sans dire que toutes [les autres options étudiées] coûtent plus cher et Mactaquac est l’option à faible coût , explique-t-il.

Des travaux complexes

Le projet comprend des travaux sur 25 % du béton fissuré hors de l’eau et sur tout le béton dans l’eau, ce qui va nécessiter l’embauche de plongeurs. Ce travail complexe est l’un des éléments qui expliquent la facture.

Énergie NB en profite aussi pour remplacer certaines pièces qui atteignent leur fin de vie, comme les turbines, qui seront remplacées une à une pour minimiser les pertes de production.

L’électricité sera remplacée soit par l’énergie produite par d’autres centrales néo-brunswickoises, soit par de l’énergie produite dans d’autres provinces et achetée par Énergie NB.

Ce projet comprend aussi l’installation de passes à poissons, une demande chère aux communautés autochtones consultées.

L’avenir d’Énergie NB

Énergie NB mène ce mégaprojet en pleine crise. La société de la Couronne croule sous une dette de 5,4 milliards de dollars, qui augmente depuis de nombreuses années.

La première ministre Susan Holt n’a pas exclu la possibilité de vendre Énergie NB et elle a annoncé lundi un examen indépendant sur son avenir qui doit comprendre des consultations publiques.

En plus, l’entité mène une enquête sur des factures plus élevées que d’habitude après d’importantes hausses de tarifs.

Darren Murphy ne croit pas que cette situation compliquée ralentisse le projet.

Il y a ce que je qualifierais de stratégies sans regret qui sont importantes dans chaque avenir. Ce que nous savons, c’est que Mactaquac est le bien le plus important que nous ayons ici au Nouveau-Brunswick pour Énergie NB , dit-il, en insistant sur son importance en période de forte demande et sur sa production d’énergie renouvelable.

Se passer de la centrale alors que la société de la Couronne doit continuer à verdir sa production d’énergie est donc compliqué, voire impossible.

L’impact sur les tarifs d’électricité incertain

Darren Murphy estime aussi que les hausses de tarifs seront limitées.

Le projet est mené sur une longue période, donc ça ne nécessite pas un investissement ou un emprunt important pour deux ou trois ans , explique le numéro deux d’Énergie NB.

Alain Chiasson est assis dans une salle de conférence.

Alain Chiasson défend les intérêts du public lors des audiences de la Commission de l’énergie et des services publics du Nouveau-Brunswick. (Photo d’archives)

Photo : Radio-Canada / Ian Bonnell

La durée de l’investissement n’est pas encore déterminée, mais Alain Chiasson, l’intervenant public dans le secteur énergétique, estime que, selon certains scénarios, cela pourrait représenter le double de la durée du projet.

Il voit aussi difficilement comment ce projet toucherait peu les clients d’Énergie NB.

Ça dépend du genre de financement qu’ils vont choisir, mais je pense que ça va quand même affecter les tarifs , dit-il. C’est inquiétant du point de vue des consommateurs. […] Avec ce projet-là, on va probablement au moins doubler la dette.

Des lignes à haute tension.

Des lignes de transmission près de la centrale de Mactaquac.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Cammarano

Il faut examiner le projet de Mactaquac dans le contexte d’une potentielle restructuration , affirme le chef du Parti vert, David Coon, qui est aussi inquiet pour les clients d’Énergie NB.

Nous n’aurons pas à tout mettre sur la dette d’Énergie NB, nuance néanmoins Darren Murphy.

Énergie NB tente d’obtenir du financement du gouvernement fédéral pour les énergies renouvelables et M. Warren affirme avoir eu de premières discussions avec des investisseurs privés.

Processus d’approbation modifié

La taille et la complexité du projet sont tellement importantes que le gouvernement du Nouveau-Brunswick a modifié le processus d’approbation. Selon Énergie NB, le projet requiert une étude qui ne se limite pas aux considérations économiques.

En 2021, en pleine pandémie de COVID-19, le gouvernement de Blaine Higgs a transféré la responsabilité de la Commission de l’énergie et des services publics, qui se charge normalement de l’approbation des projets de plus de 50  millions de dollars, au gouvernement du Nouveau-Brunswick, uniquement pour ce projet.

Selon Melissa Curran, greffière en chef de la Commission, la loi ne prévoit aucune participation pour son entité, mais un certain rôle pourrait lui être accordé.

Nous prévoyons demander à la Commission de l’énergie et des services publics du Nouveau-Brunswick d’examiner l’analyse portant sur les finances et les risques du projet, ce qui permettra au gouvernement provincial de prendre une décision éclairée , indique par écrit le ministre de l’Énergie René Legacy.

René Legacy

Le ministre des Finances du Nouveau-Brunswick, René Legacy (Photo d’archives)

Photo : La Presse canadienne / Ron Ward

Énergie NB espère remettre au gouvernement un plan définitif au début de 2026.

Une fois que le gouvernement l’aura reçu, nous prendrons le temps nécessaire pour l’examiner et prendre une décision éclairée , écrit le ministre.

Une étude d’impact environnemental a déjà été soumise en juillet 2023 pour approbation. La société de la Couronne attend une réponse du ministère de l’Environnement au cours des prochaines semaines.

David Coon trouve profondément dérangeant que le gouvernement provincial ait à se prononcer sur la question, craignant que les intérêts politiques ne prennent le dessus.

La question pour la Commission de l’énergie et des services publics est : « Est-ce que le projet, comme Mactaquac, est pour le bien commun des consommateurs ou non? », dit-il, en ajoutant que le gouvernement actuel devrait modifier à nouveau la loi pour redonner cette responsabilité à la Commission.

David Coon.

Le chef du Parti vert du Nouveau-Brunswick, David Coon (Photo d’archives)

Photo : Radio-Canada / Mikael Mayer

Pour sa part, le Parti progressiste-conservateur, au pouvoir de 2018 à 2024, n’a rendu aucun de ses membres disponible pour une entrevue.

Des fissures intentionnelles

En attendant le possible début des travaux, les ingénieurs de la centrale continuent de suivre le gonflement du béton provoqué par la réaction alcaline des agrégats, qui touche certaines autres centrales hydroélectriques.

Ils se servent bien sûr des outils conçus et construits sur place, mais aussi parfois de simples règles.

C’est qu’après les premières observations des effets de la réaction chimique dans les années 1980, les ingénieurs ont fissuré intentionnellement le plancher du rez-de-chaussée de la centrale sur presque toute sa longueur et même les parois du barrage pour offrir une marge de manœuvre au béton.

Les ingénieurs mesurent régulièrement ces fissures intentionnelles. Celle du plancher par exemple, qui ne dépassait pas deux centimètres au début, a facilement quintuplé depuis ce moment.

Un trou dans un plancher de béton.

Des ingénieurs ont créé des fissures pour permettre au béton de gonfler et ils s’en servent pour mesurer l’évolution de la situation.

Photo : Radio-Canada / Frédéric Cammarano

Des travaux annuels sont d’ailleurs nécessaires pour limiter les effets de la réaction chimique dans toute la centrale. Le projet devrait permettre d’éviter des travaux d’entretien aussi fréquents.

Énergie NB espère lancer les travaux en 2027. Des centaines de travailleurs devraient alors être mobilisés, selon la société de la Couronne.

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