« Une fracture s’était installée »: Thomas Brezzo explique pourquoi il se porte candidat à la présidence du Conseil national à Monaco

Sans arme ni violence, mais après sommations verbales et épistolaires, les élu(e)s du Conseil national s’apprêtent à faire rentrer dans le rang Brigitte Boccone-Pagès, première femme élue présidente du Conseil national. N’allez pas leur parler de putsch, n’agitez pas non plus les fantômes des crises de 2010 et 2016, c’est en douceur que vos représentants veulent reprendre la main. Et place à la « jeunesse », puisque mercredi prochain, à l’occasion de la séance annuelle de renouvellement du Bureau, c’est Thomas Brezzo, 44 ans, héritier du mouvement Primo! et disciple de Stéphane Valeri, qui présentera sa candidature à la présidence du Conseil national. Un choix soutenu par 22 élus dans une lettre adressée le 13 mars dernier à Brigitte Boccone-Pagès, où il lui est demandé d’accepter ce changement tout en continuant à siéger au sein de l’Union nationale « dans la logique qui prévaut depuis la création de notre mouvement et dans l’intérêt de l’institution ».

Sauf que la présidente, à cette heure, aurait l’intention de maintenir sa candidature à sa succession. Le 12 mars, Brigitte Boccone-Pagès se portait en effet « sereinement » candidate dans les colonnes de Monaco-Matin, fière de son bilan. La veille au soir, elle avait pourtant tourné les talons aux élus alors qu’ils souhaitaient voter pour désigner leur candidat à la présidence. Optant, en son absence donc, pour Thomas Brezzo. « Ne pouvant nous résoudre à voir prolonger le déclin de l’institution, nous avons la certitude que la poursuite de son mandat – même pour quelques mois supplémentaires – ne pourrait qu’entraîner l’aggravation de la situation », ont-ils alors porté à l’écrit.

À l’heure où les tempêtes judiciaires balayent la Principauté et que les différentes strates de l’État sont remises en ordre de marche pour préserver l’attractivité du pays, le Conseil national a donc décidé de se reprendre en mains également pour relancer la machine institutionnelle et, par là même, contribuer au regain réputationnel de Monaco. Thomas Brezzo, lui, compte raccrocher sa robe d’avocat et prendre ses distances avec les prétoires pour épouser la cause commune à temps plein. Il détaille pour Monaco-Matin le « nouveau souffle » qu’il entend incarner, sa méthode, ses objectifs et sa vision du Monaco de demain.

« Nos mains tendues sont restées lettre morte »

De son intérim au départ de Stéphane Valeri pour la SBM fin 2022 à son élection comme tête de liste de l’Union nationale en 2023, Brigitte Boccone-Pagès a été soutenue publiquement par les élus. Comment en est-on arrivé à ce renversement dont le tout-Monaco a vent depuis plusieurs semaines?

 

C’est un processus qui s’est installé sur plusieurs mois, et cette possibilité depuis plusieurs semaines. L’été dernier déjà nous avions constaté un certain nombre de dysfonctionnements. Chaque élu avait ses raisons de se détacher de la présidente mais qui sont toutes liées aux problématiques de gouvernance de l’institution et de son Cabinet, la gestion des ressources humaines et des situations troublantes dans le management du personnel du Conseil national qui ont agacé. 

 

Des problèmes évoqués clairement avec la présidente?

 

Nous sommes allés la voir avec plusieurs élus pour la prévenir de ce qu’il risquait de se passer. On lui a tendu la main à plusieurs reprises pour qu’elle s’appuie sur nous mais c’est resté lettre morte. Une fracture s’était installée avec certains élus et un manque de transparence a perduré jusqu’à peu près au moment du Budget rectificatif au mois d’octobre. L’hypothèse d’un changement s’est alors installée et pas mal d’élus m’ont sollicité pour prendre la présidence, tout en rappelant à Mme Boccone-Pagès qu’elle aura toute sa place dans la liste de l’Union en tant que conseillère nationale.

 

 

C’est une décision de dernière minute prise en groupe mais sans leadership et sans ligne politique, sans stratégie réelle derrière. Au final, c’est un fiasco. Derrière on reçoit le communiqué du Palais et on est quasiment obligé de voter le Budget primitif. La seule solution devenait un changement de présidence. J’ai dû voir avec mes associés si c’était possible et cette décision a été prise naturellement juste après les fêtes de fin d’année. J’ai rencontré individuellement tous les élus.

 

Les élus ont un sentiment de frustration?

 

Oui. Il y a un manque d’efficacité criant et on voudrait aller plus loin, être plus efficace avec un Conseil en ordre de marche. Des élus à la pleine puissance de leurs capacités, des équipes permanentes respectées et donc motivées, et un Cabinet qui prend toutes ses fonctions. L’ambiance entre élus est bonne. On s’est encore réunis lundi sans la présidente pour travailler.

 

Prendre la présidence du Conseil national était un objectif personnel mûri à terme?

 

Absolument pas. Cela s’est fait par la force des choses, au travers principalement du travail que j’ai fourni sur Moneyval ou en étant membre de délégations sur les questions européennes. J’ai répondu présent et les autres sont venus me voir parce que je sais tenir tête au gouvernement, m’exprimer en public, que j’ai l’expérience de la négociation et de l’argumentation. Je sais rebondir sur le vif et manager des salariés. 

 

« Instaurer plus de modernité et de collégialité »

 

Ce n’est pas une simple pige…

 

Non. L’objectif c’est quatre ans, voire la mandature suivante. Mais ce sera aux électeurs de choisir.

 

Quatre ans à temps plein alors que se pose la question de la professionnalisation de l’élu face à la somme de travail législatif…

 

J’avais déjà fait en sorte que les équipes de juristes soient augmentées et spécialisées, deux nouveaux postes sont ouverts et nous sommes trois juristes par rapport à la dernière mandature où j’étais seul… Il faut qu’on soit pourvu pour répondre au travail législatif, que l’on soit en ordre de marche le plus rapidement possible. Cela passe aussi par de la modernité dans les méthodes de travail, une dynamique positive. Je compte instaurer plus de collégialité. Il y a un leader mais le Conseil national n’est pas celui du président. 

 

« Me présenter à la présidence du Conseil national s’est fait par la forces des choses » Photo Jean-François Ottonello.

Sortant du privé, comment comptez-vous vous prémunir de tout conflit d’intérêts?

 

Cela m’oblige à faire la part des choses avec mon activité à laquelle je suis attachée. Quand j’ai été en situation de conflit d’intérêts, je me suis toujours écarté, notamment sur l’Esplanade des Pêcheurs. C’est fondamental chez l’avocat de ne pas se mettre en difficulté et pouvoir rester indépendant. Il faut s’appuyer sur les spécificités et spécialités des uns et des autres et j’aurai à organiser tout cela.

 

Qu’est-ce qu’un président de Conseil national « fort » dans un État qui, à défaut d’être fragile, est fragilisé?

 

C’est justement de ramener l’équilibre et la sérénité. Je suis attaché à la monarchie constitutionnelle et je n’ai aucune intention de revenir dessus. Maintenant, je pense qu’il faut un équilibre dans l’exercice des pouvoirs et dans le rapport de force entre gouvernement et Conseil national, qui doivent être de véritables partenaires. La Constitution est construite comme cela, nous avons besoin l’un de l’autre. Il faut se battre utilement dans l’intérêt du pays sur les sujets fondamentaux.

 

Avez-vous des questions tabou? L’IVG par exemple.

 

Non, et je n’ai pas le pouvoir de limiter les élus dans leur travail. Chacun est libre de déposer une proposition de loi, et le gouvernement de la transformer. Ce sont des sujets sur lesquels je n’ai ni travaillé, ni réfléchi à ce stade, mais on doit pouvoir faire avancer les choses. Nous sommes encadrés par certaines limites mais rien n’empêche le débat dans un pays démocratique. Et ce débat doit avoir lieu. Si ce n’est pas faisable avec notre Constitution, le gouvernement a la liberté de trancher.

 

Quelles seront vos priorités?

 

L’organisation même du Conseil national pour qu’elle soit moins chronophage et donc plus efficace. Le changement de Cabinet. L’autonomie des ressources humaines. Remettre à plat le programme sur lequel on a été élus et tenir nos promesses aux Monégasques sur le logement domanial, la mobilité, l’économie – car il y a un besoin de faire rentrer des recettes et limiter les dépenses -, la priorité nationale. Le problème, c’est que plus aucun projet immobilier ne sort à Monaco et ces recettes de TVA en moins c’est un trou dans le budget. On ne peut pas rester paralysé, il faut que l’État avance. Il faudra se monter fort et ferme avec le gouvernement sur ce point et travailler sur une vision à long terme. Facilitons aussi les démarches d’installation à Monaco. Aujourd’hui sur les cartes de résident on est à 6 mois, c’est ubuesque. À Dubaï, en 15 jours j’ai un appartement et une carte de résident. 

 

Votre Monaco pour demain?

 

Il faut garder cet équilibre entre modernité et tradition. Il faut faire perdurer notre monarchie, garder nos spécificités, notre image et notre identité nationale, et pourquoi pas être une place innovante et attractive pour d’autres entreprises et sources de revenus. Il faut que le peuple monégasque reste soudé derrière le Prince. Aujourd’hui on est attaqué de toute part mais il faut défendre le régime.

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