Une hausse fulgurante des viols en République démocratique du Congo

La situation est « terrifiante » et « alarmante » : depuis 2023, les violences sexuelles en République démocratique du Congo (RDC) ont atteint des niveaux « sans précédent ». S’ajoute à ce sombre portrait une hausse fulgurante des viols depuis le début de l’année avec l’intensification des combats dans l’est du pays et la chute de Goma et de Bukavu aux mains du groupe M23.

« Les femmes ne sont en sécurité nulle part », déplorait déjà Médecins sans frontières (MSF) en octobre 2024. Dans un rapport intitulé Nous appelons à l’aide, l’organisation réclamait des actions urgentes en RDC, en indiquant avoir pris en charge 25 166 survivantes de violences sexuelles en 2023, « soit plus de 2 victimes par heure ».

« Ce chiffre est de très loin le plus élevé enregistré par MSF en RDC », mentionnait l’organisation qui vient en aide à 10 000 victimes en moyenne par année.

La très vaste majorité des agressions (91 %) de femmes et de filles avaient été commises dans la province du Nord-Kivu, frontalière du Rwanda, où les affrontements entre le Mouvement du 23 mars (M23) et l’armée congolaise faisaient rage.

Depuis, ces statistiques — déjà glaçantes — n’ont cessé d’enfler. Fin 2024, le groupe rebelle M23, soutenu par le Rwanda, a accentué son offensive jusqu’à faire tomber Goma, la capitale du Nord-Kivu, le 25 janvier, et à s’emparer trois semaines plus tard de Bukavu, la capitale de la province voisine du Sud-Kivu.

Dans la semaine du 27 janvier au 2 février, le nombre de victimes de viol a quintuplé, a déploré l’UNICEF, en se basant sur des données recueillies dans 42 structures de santé du pays.

« Dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, les informations qui parviennent aux équipes de l’agence onusienne sont “terrifiantes” », soulignait l’organisation dans un communiqué fin février. Environ 30 % des victimes sont des enfants.

Des statistiques qui sous-évaluent fort probablement le phénomène puisqu’un nombre important de survivantes ne se rendent pas dans un centre de santé — par méconnaissance ou par peur d’être stigmatisées.

Hommes armés

Les auteurs de violences sexuelles ne sont pas que des miliciens du M23, indique en entrevue une travailleuse humanitaire travaillant en RDC dont Le Devoir a accepté de taire l’identité, et celle de l’organisation, pour des raisons de sécurité.

« C’est tout le monde. Ce sont des civils, des bandits, parfois aussi des membres de l’armée congolaise. Ce sont tous les groupes armés. »

La vaste majorité des agressions sont commises arme au poing, contraignant au silence les femmes, leurs maris et les communautés. « Si quelqu’un se risque à dire quelque chose ou à essayer de faire quelque chose, ils seraient tués. »

Avant la prise de Goma par le groupe M23, la plupart des agressions étaient commises autour des sites de déplacés, surpeuplés et souffrant d’un manque d’aide humanitaire.

Pour combler le manque de nourriture, d’eau et de travail, les femmes et les filles étaient contraintes de sortir des camps pour aller chercher du bois ou de l’eau dans les collines et travailler dans les champs des alentours, où se trouvaient de nombreux combattants.

« [Ceux-ci] encerclaient les camps de déplacés, et c’est là que les incidents de violence sexuelle se produisaient », explique la travailleuse humanitaire.

Insécurité constante

Ces dernières semaines, le M23 a vidé les camps et ordonné aux habitants de rentrer chez eux. Parallèlement, l’insécurité à Goma et dans sa périphérie n’a cessé de croître, surtout la nuit. « La criminalité est vraiment très élevée. »

Beaucoup de cambriolages sont commis. « Souvent, quand il y a des femmes et des filles dans la maison, elles sont violées. Et si d’autres personnes du ménage essaient d’intervenir, elles sont tuées automatiquement. »

Depuis la percée du M23, des centaines de prisonniers ont réussi à s’évader, ajoutant au chaos. Selon l’ONU, lors de l’une de ces évasions, plus de 150 prisonnières ont été violées et brûlées vives.

Des enlèvements de femmes, commis par des combattants du M23, ont également lieu. « Ils abordent les femmes en passant dans la rue et leur demandent de sourire pour ne pas que ça paraisse qu’on les force de faire quelque chose. »

Violées, ces femmes sont aussi parfois tuées. « Parce que si elles retournent dans leurs villages, [les habitants] vont savoir que c’est le M23 qui a fait ça. »

Les collègues de la travailleuse humanitaire reviennent d’ailleurs d’une mission dans une localité située en périphérie de Goma où environ 111 femmes auraient été violées en 72 heures, rapporte-t-elle.

Pour se protéger, femmes et filles se font recommander de restreindre leurs sorties et de se déplacer en groupe. « Le risque peut être élevé à n’importe quel moment, mais surtout le soir. »

De nombreuses victimes doivent ensuite vivre avec des grossesses non désirées, le VIH/sida ou encore de la stigmatisation provenant de leur famille ou de leur communauté. La justice n’existe plus qu’en théorie, déplore la travailleuse humanitaire, « mais en pratique, pas vraiment ».

Arme de guerre

Pour le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), ces violences sexuelles sont utilisées « comme une tactique de guerre délibérée, destinée à terroriser, à déplacer, à contrôler les populations, mais aussi à violer la dignité et les droits des femmes et des filles ».

Dans un communiqué publié fin février, le FNUAP ajoute que « même en période de paix relative, la province du Nord-Kivu enregistre chaque année des taux affolants de violence sexuelle ».

Des violences qui sont ancrées dans le patriarcat et les stéréotypes sexistes existant en RDC, note le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. « Par exemple, certains disent que, pour réussir la guerre, ils doivent avoir des relations sexuelles avec des mineurs », illustre la travailleuse humanitaire.

Prévention

Difficile dans ce contexte de parler de prévention. « Il y a toute une sensibilité entourant les violences basées sur le genre [en RDC]. Donc, on doit être très prudents par rapport à ça. »

Une voie fructueuse pourrait être de passer par les missions religieuses, croit la travailleuse humanitaire. « Les évêques catholiques ont une position très favorable, parce qu’ils sont bien écoutés par tous les groupes armés », souligne-t-elle.

« Ce serait bien d’utiliser ce canal pour faire de la sensibilisation auprès du M23 et des autres acteurs armés sur les violences sexuelles. À l’échelle des combattants, il n’y a aucune autorité par rapport à ça. »

Devant l’ampleur du fléau, les ONG peinent à offrir les services nécessaires aux survivantes — surtout depuis les coupes dans l’aide humanitaire provenant des États-Unis. « Les services sont très minimes par rapport aux besoins énormes qui existent. »

En RDC comme ailleurs dans le monde, ce sont les femmes et les filles qui sont aux premières loges lorsque l’insécurité gangrène un pays. « L’un des risques les plus communs que l’on voit dans toutes les crises, c’est les violences sexuelles, et la plupart du temps, ce sont les femmes et les filles qui subissent ce genre de violence. »

À voir en vidéo

Crédit: Lien source

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.