une loi « interprétative » qui divise – Ouestaf.com

Ouestafnews – Malgré son adoption par une large majorité des députés, la controverse continue sur la « loi interprétative », modifiant la loi d’amnistie votée en 2024. La nouvelle loi exclut du champ de l’amnistie tous les « crimes de tortures, d’assassinat et de meurtre », liés aux évènements survenus entre 2021 et 2024. Le vote de ce texte est intervenu, le 2 avril 2025, après des mois de tergiversation des actuelles autorités qui avaient promis une abrogation du texte une fois aux commandes.

Les modifications apportées à la loi d’amnistie continuent de susciter des appréhensions au-delà du champ politique. Pour certains observateurs, la présentation même du texte pose problème.

« Quand on modifie, on n’est plus dans la clarification », a estimé l’analyste politique Maurice Soudieck Dione, invité le 3 avril sur la chaine privée 7TV. Selon cet universitaire, les « rectifications » ou « corrections » présentées par le député Amadou Ba comme une « interprétation » constituent en réalité une « révision » de la version initiale.

C’est le cas notamment des conventions internationales qui interdisent l’amnistie des crimes de torture et dont la violation expose l’Etat du Sénégal à des condamnations dans des instances internationale, selon l’initiateur de la proposition de loi « interprétative ».  

En effet, pour Amadou Ba, les meurtres, actes de torture, les enlèvements, les actes de barbarie ainsi que les traitements inhumains et dégradants ne doivent pas rester impunis. Ces crimes vont faire l’objet d’enquêtes et leurs auteurs en répondront « quelles que soient les motivations et indifféremment du camp de leurs auteurs », a-t-il assuré en défendant son texte.  

Un autre point d’inquiétude majeur concerne le caractère jugé « sélectif » de sa portée. Pour une partie de l’opinion, la loi interprétative cible les forces de l’ordre. Or, ces dernières ne doivent pas être jetés en pâture, a averti le général Mamadou Seck, ancien chef d’Etat-major des armées sénégalaises, le 3 avril 2025, au lendemain du vote de la loi.

Sur les ondes de la Radio Futur média (Rfm), le militaire à la retraite a appelé à se rendre compte de la « difficulté » du métier de maintien de l’ordre face à des manifestants usant de violence. Il estime que si des « erreurs individuelles » ont pu être commises dans les rangs des FDS, il faut tout de même préserver « le moral des troupes ».

Pourtant, les députés du parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef, au pouvoir), ont plébiscité la révision de la loi d’amnistie par 126 voix pour et 20 contre. Proposée par leur député Amadou Ba, cette nouvelle loi dite « interprétative » revient sur l’amnistie votée sous le président Macky Sall dans les derniers jours de son mandat. 

D’autres estiment que les modifications apportées au texte de mars 2024 servent à couvrir les militants de Pastef, parti au pouvoir, et notamment ceux à l’origine des troubles et des violences. L’incendie de l’université de Dakar en juin 2023 et l’usage de cocktail Molotov contre plusieurs cibles avaient marqué les esprits. 

Le Secrétaire exécutif d’Amnesty International- section Sénégal a salué l’adoption de la loi. Sur X, Seydi Gassama s’est félicité d’« une étape importante » vers la justice et la réparation des graves violations des droits humains qui ont eu lieu entre février 2021 et février 2024.

Malgré les assurances du député Amadou Ba, porteur de la loi interprétative, l’Alliance pour la République (Apr), ancien parti au pouvoir, y a vu une « vengeance politique » orchestrée par le Premier ministre Ousmane Sonko.

Aussitôt après le vote de la loi, le parti de l’ex président Macky Sall a estimé que la majorité parlementaire « criminalise » l’action les forces de sécurité qui ont fait échouer le « projet insurrectionnel » du parti Pastef. Les Apéristes, comme on les appelle, ont aussi annoncé un recours devant le Conseil constitutionnel.

La loi d’amnistie, qui suscite aujourd’hui moults débats, avait été adoptée à l’initiative de l’ancien président Macky Sall à quelques semaines de la présidentielle du 24 mars 2024 à laquelle il n’était pas candidat. Selon l’exposé des motifs, à l’époque, la loi d’amnistie visait à « pacifier l’espace politique » et à « raffermir la cohésion nationale », à la suite des évènements politiques meurtriers enregistrés dans le pays entre le 1er février 2021 et le 25 février 2024.

Ces évènements étaient partis d’une accusation de viol contre l’actuel Premier ministre, Ousmane Sonko, alors opposant. Allaient s’en suivre une série d’affaires politico-judiciaires pour lui et des explosions de violence, qui ne prendront fin qu’à la faveur de la loi l’amnistie.

Plus d’un millier de détenus dits « politiques » avaient bénéficié de cette loi, dont l’actuel président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko.

L’abrogation de la loi d’amnistie était une des promesses de campagne des actuelles autorités sénégalaises. Après l’obtention de 130 sièges sur 165 lors des législatives de novembre 2024, le Premier ministre Ousmane Sonko avait réitéré cet engagement, le 27 décembre 2024, lors de sa déclaration de politique générale devant les députés.

Selon, le collectif de journalistes Cartographie FreeSenegal, qui a recensé les victimes de la répression, la crise politique des dernières années du régime de Macky Sall a fait 65 morts dont 51 « tués par balle ». Un bilan « définitif » établi en collaboration avec Amnesty International qui parle également de plus de 2000 manifestants arrêtés. Le ministère de la Famille et des Solidarités évoquait, pour sa part, le chiffre de 79 morts début février 2025.

Bien avant le vote de la loi « interprétative », la société civile avait appelé à des solutions « impartiales » et invité l’Assemblée nationale à sursoir à l’examen de la proposition. Dans un communiqué publié à la veille de l’examen du texte en plénière, une vingtaine d’organisations avait réitéré leur appel à une « concertation inclusive » avant le vote de la « loi Amadou Ba ». Un appel resté vain. Sûr de sa majorité écrasante, le parti les Pastef a foncé et obtenu le vote de sa loi.

IB/ts

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