une menace potentielle pour l’agriculture au Sénégal

La décision du président Donald Trump de suspendre l’aide internationale américaine au lendemain de son investiture s’est traduite par des interrogations et des incertitudes sur l’avenir de plusieurs projets de développement. Cette décision a entraîné la fermeture temporaire de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID). Celle-ci dispose d’un budget de 65 milliards de dollars en 2023 et opérant dans plusieurs pays, notamment en Afrique.

Au Sénégal, comme dans la plupart des pays africains, plusieurs secteurs clés sont concernés par cette mesure. Parmi eux, l’agricuture qui occupe une place importante dans les politiques publiques, du fait qu’elle demeure la principale activité en milieu rural. Selon l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), plus de 909 638 ménages travaillent dans l’agriculture, soit l’équivalent d’un ménage sur deux. Secteur clef pour le développement économique et social du pays, elle est aujourd’hui confrontée à plusieurs défis notamment la problématique du financement.

Nos recherches portent, entre autres, le financement agricole et la sécurité alimentaire, l’amélioration de la production avicole, le partenariat public-privé dans la formation professionnelle, au Sénégal. Dans les lignes qui suivent, nous expliquons les conséquences possibles du gel de l’aide américaine sur l’agriculture au Sénégal. Nous dégageons quelques perspectives pour une souveraineté.

Faible accès au financement agricole

Le financement joue un rôle important dans toute la chaîne de valeur agricole. De la production à la commercialisation, les producteurs ont, de manière dynamique, des besoins de financement pour l’exploitation et l’investissement dans le matériel agricole, le foncier et les aménagements hydro-agricoles.

Cependant, selon l’étude de la Direction de l’analyse, de la prévision et des statistiques agricoles du Sénégal, le niveau d’accès au financement des ménages agricoles est faible. Il correspond à 9,4 % avec une grande disparité au niveau régional.

La part de financement des institutions gouvernementales et du secteur bancaire formel dans l’agriculture est faible. Elle représente respectivement 2,4 % et 10,5 %. L’intervention de l’Etat est soutenue par des ressources internes et externes. Elle est essentielle pour accompagner les producteurs tout au long de la chaîne de valeur.

L’État du Sénégal a pris des mesures volontaristes pour mobiliser des ressources internes et externes en vue d’investir dans l’agriculture, afin de répondre aux besoins intérieurs et de favoriser les exportations.

Le budget de l’agriculture est ainsi passé d’environ 277 millions USD en 2013 à 516 millions USD en 2025, avec une moyenne annuelle d’environ 372 millions USD entre 2014 et 2021. L’investissement public national est dominé à 51,8 % par le financement extérieur pendant la période 2023-2025.

Dans un tel contexte, la suspension partielle de l’aide publique au développement des Etats-Unis soulève légitimement des interrogations sur son amplitude dans le secteur agricole du pays et les possibles impacts sur le développement de ce secteur.




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L’USAID, un partenaire stratégique

Depuis 1961, les Etats-Unis sont un partenaire stratégique du Sénégal, finançant des projets essentiels dans les domaines de la santé, de l’éducation, des infrastructures et de l’agriculture. Au cours du quinquennat 2019-2023, les Etats-Unis ont versé, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 965 millions de dollars US au Sénégal au titre de l’aide publique au développement, comme le montre le tableau ci-dessous :

Tableau 1 : CAD2A : Versements d’aide (APD) vers les pays et régions.
Source : OCDE, 2025

Dans le secteur agricole, l’USAID a soutenu au Sénégal des initiatives visant à améliorer la productivité, la sécurité alimentaire et le développement rural. Ainsi de 2020 à 2025, elle aurait décaissé, à travers diverses initiatives dans le secteur agricole, un montant de 100,4 millions de dollars US.

Tableau 2: Montants décaissés par année dans le secteur agricole par l’USAID au Sénégal.
Source : Gouvernement des Etats-Unis et calcul des auteurs (2025)

Conséquences potentielles du gel de l’aide américaine

Le gel du financement porté par l’USAID aura sans doute des répercussions négatives multiformes sur le secteur agricole sénégalais, provoquant notamment :

  • Des retards et/ou des perturbations dans la conduite des politiques publiques agricoles appuyées par l’initiative Feed the Future, qui vise renforcer la sécurité alimentaire. Ces perturbations risquent de compromettre les objectifs visés en matière de développement agricole inclusif et de la sécurité alimentaire et nutritionnelle.

  • Certains programmes financés par l’USAID sont dédiés à la vulgarisation agricole et à la formation des agriculteurs, en particulier des jeunes et des femmes. Ces initiatives aident les producteurs à adopter de nouvelles pratiques agricoles pour améliorer leurs rendements. Un gel de cette aide risquerait de limiter l’accès à ces connaissances et freinerait les progrès agricoles.

  • L’aide américaine soutient l’accès des producteurs aux intrants agricoles, tels que les semences améliorées, les engrais et les pesticides. Un gel de cette aide limiterait l’approvisionnement en ces ressources essentielles. Cela pourrait nuire à la productivité des cultures en réduisant l’accès des agriculteurs aux intrants nécessaires.

  • La diminution du soutien aux petites exploitations agricoles. Elles constituent une part importante du secteur agricole au Sénégal et dépendent souvent de l’aide internationale. Un gel de l’aide pourrait les rendre plus vulnérables aux crises économiques, aux conditions climatiques défavorables et aux fluctuations des prix des produits agricoles.

  • La réduction des financements pour la recherche agricole. L’aide américaine soutient également la recherche et le développement dans le secteur agricole, en particulier pour développer des technologies adaptées au climat et aux réalités locales. Sans ce financement, les efforts de recherche pourraient être ralentis, freinant l’innovation dans le secteur.

  • L’effet domino sur les partenaires financiers. Le gel de l’aide américaine pourrait envoyer un message négatif aux autres bailleurs de fonds, incitant d’autres partenaires internationaux à réduire leur soutien.

  • La réduction des investissements dans les infrastructures agricoles pourrait retarder ou annuler des projets essentiels comme les routes, les systèmes d’irrigation et les entrepôts. L’aide américaine joue un rôle clé en finançant ces infrastructures, indispensables à l’efficacité des exploitations agricoles.

En somme, un gel des programmes de l’USAID, toutes choses égales par ailleurs, aurait des conséquences directes et indirectes sur le financement et le développement de l’agriculture au Sénégal. Le pays pourrait voir une diminution de sa compétitivité agricole, une augmentation de la pauvreté rurale et un ralentissement dans la modernisation de son secteur agricole.

Des travailleurs disposent des mangues fraîchement cueillies dans un dans la région de Thiès, au Sénégal.
Photo de SEYLLOU/AFP via Getty Images

Perspectives pour une souveraineté

Le gel de ses programmes soulève la question de la dépendance des Etats à faibles revenus à l’aide internationale. Au Sénégal, si la suspension de cette aide aura des conséquences évidentes, elle offre l’opportunité aux pouvoirs publics de mieux identifier les ventres mous dans les chaînes de valeurs agricoles qui ne fonctionnent correctement qu’avec ou en grande partie grâce à l’aide publique au développement.

Dans un contexte où le Sénégal met l’accent avec son nouveau référentiel de politique et programmes publics, sur la souveraineté et le développement endogène, la décision, aussi brutale soit-elle, doit être exploité pour poser les bons diagnostics. Le pays doit ainsi renforcer l’autonomie des acteurs locaux et des institutions gouvernementales.

Il est donc essentiel de construire des capacités institutionnelles locales afin que l’Etat puisse réduire son recours à l’aide publique au développement. Cela pourrait inclure le développement de mécanismes novateurs pour augmenter les capacités nationales de financement endogène et durable du développement agricole.

Il s’agit des financements commerciaux (crédit commercial, crédit fournisseur d’intrants et crédit offert par les entreprises de commercialisation), des financements par créances (financement par créances clients et affacturage), du nantissement des actifs corporels (warrantage et crédit-bail) et des instruments de réduction des risques (assurance agricole et contrats à terme de gré à gré).

L’implication du secteur privé doit aussi être réfléchie à l’aune d’instruments tels que les partenariats public-privé agricoles permettant un plus grand financement du secteur sans une prise de risques trop prononcés pour les finances publiques.

L’intégration de l’efficacité organisationnelle et économique du secteur privé avec celle de la régulation des pouvoirs publics peut transformer le paradigme de l’investissement public. Ce modèle viserait la profitabilité économique et sociale plutôt que le symbolisme. Il permettrait également d’éviter les risques financiers des projets traditionnels d’appui au développement.

Aussi, l’exploitation du pétrole et du gaz au Sénégal constitue une opportunité majeure en faveur du développement de l’industrie locale au profit de la disponibilité des facteurs de production agricole tels que l’engrais, la tuyauterie pour le développement de l’irrigation. Les ressources tirées de l’exploitation de ces hydrocarbures devraient permettre à l’Etat du Sénégal de mieux développer le secteur agricole.

Il s’agira, en définitive, de transformer le gel de l’aide américaine en opportunité pour un secteur agricole plus résilient face aux défis de son financement.

Docteur Idaly Kamara du Centre de recherche en économie et finance appliquées de Thiès (CREFAT) est co-auteur de cet article.

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