Il aura fallu attendre 2025 pour qu’un site archéologique de la province du Yunnan, au sud-ouest de la Chine, vienne bousculer les hypothèses sur les capacités techniques des premiers humains d’Asie orientale. À Longtan, dans le comté de Heqing, des chercheurs chinois ont mis au jour une série d’outils en pierre qui portent la signature d’une tradition jusqu’alors inconnue dans cette région : la technologie Quina, typiquement attribuée aux Néandertaliens d’Europe.
Jusqu’à présent, les archéologues pensaient que cette méthode d’élaboration d’outils était propre aux zones froides et arides d’Europe de l’Ouest, entre 70 000 et 40 000 ans avant notre ère. Cette découverte inattendue jette un éclairage nouveau sur les migrations possibles de groupes humains archaïques vers l’Asie.
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Longtan : un site au carrefour des lignées humaines
Le site de Longtan a été découvert en 2010, mais ce n’est qu’entre 2019 et 2020 que des fouilles systématiques ont été menées. Les niveaux culturels analysés ont été datés entre 60 000 et 50 000 ans grâce à la méthode de luminescence stimulée optiquement (OSL). Ce procédé mesure la dernière exposition des sédiments à la lumière et permet donc une datation indépendante du carbone 14.
Les couches archéologiques révèlent un environnement constitué de forêts ouvertes mêlées à des prairies, un paysage analogue à celui qu’occupaient les Néandertaliens en Europe occidentale. Ce parallèle écologique renforce l’hypothèse d’une convergence adaptative, voire d’une migration.
Quina : une méthode très spécifique de taille de la pierre
Mais qu’est-ce que la technologie Quina exactement ? Elle se reconnaît à plusieurs éléments distinctifs.
Les outils, principalement des racloirs, sont issus de gros éclats produits par percussion directe, utilisant à la fois des percuteurs durs (comme des galets) et mous (comme du bois ou de l’os). Les bords des éclats sont retravaillés de manière alternée : on y observe des scalpes convexes d’un côté, concaves de l’autre, une stratégie qui prolonge considérablement la durée d’usage de l’outil.
On constate également une logique de recyclage : les éclats obtenus lors de l’entretien d’un outil servent à en créer d’autres, plus petits. Ce schéma d’exploitation en plusieurs phases témoigne d’un usage raisonné et intensif des ressources disponibles.
Des outils multi-usages analysés au microscope
Pour confirmer l’usage de ces outils, les chercheurs ont eu recours à une analyse tracéologique, aussi appelée analyse des micro-usures. En observant au microscope les bords des outils, il est possible d’identifier les types de matières travaillées.
À Longtan, les racloirs Quina ont été utilisés pour travailler le bois, la peau et les os. Cela suggère des activités variées, allant de la fabrication d’éléments en bois à la préparation de peaux pour les vêtements ou les abris, en passant par le traitement de carcasses animales.
Ce sont ces détails fonctionnels, bien plus que la simple morphologie des outils, qui permettent d’affirmer l’utilisation consciente et polyvalente de cette technologie.
Un puzzle technologique bien plus riche qu’on ne le pensait
Longtan n’est pas un cas isolé. Il s’inscrit dans une série de découvertes qui révèlent la diversité technologique du Paléolithique moyen en Chine. D’autres sites ont récemment livré des indices tout aussi fascinants :
- Dans le Xinjiang et la Mongolie intérieure, des outils Levallois datés de 50 000 ans ont été mis au jour.
- Le site de Xuchang, daté entre 125 000 et 90 000 ans, présente une industrie discoïde avancée.
- La grotte de Guanyindong, dans le Guizhou, montre une présence continue de la méthode Levallois entre 170 000 et 80 000 ans.
Ces exemples démontrent que l’idée d’un retard technologique en Asie par rapport à l’Europe ne tient plus.
Vers un scénario plus complexe de peuplement de l’Asie
Ce que montre l’étude du site de Longtan, c’est que plusieurs groupes humains ont cohabité ou se sont succédé dans un même territoire, dans des fenêtres temporelles proches.
Le professeur Ruan Qijun, coauteur de l’étude, évoque une véritable mosaïque d’espèces : Denisoviens de Xiahe, Homo longi, Homo juluensis, groupes utilisant des bifaces… Ce n’est plus un arbre généalogique linéaire, mais un buisson complexe de formes humaines qui se dessine.
L’arrivée ou la persistance d’une tradition Quina dans ce contexte pose une question directe : des Néandertaliens ont-ils atteint le sud-ouest de la Chine ? Ou bien cette technologie a-t-elle été transmise culturellement, sans migration physique ?
Une énigme ouverte pour les paléoanthropologues
À ce jour, aucun fossile de Néandertalien n’a été découvert à Longtan. Mais la présence d’une culture matérielle associée à ce groupe en Europe invite à reconsidérer les routes migratoires possibles et les échanges entre populations.
C’est peut-être dans ces objets silencieux, taillés il y a plus de 50 000 ans, que se cachent les clés d’un chapitre oublié de l’histoire humaine.
Source de l’étude : http://dx.doi.org/10.1073/pnas.2418029122
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