« Je suis un homme cultivé qui continue de se cultiver intellectuellement, comme sur le plan pratique. D’une grande sensibilité donc fragile ». Ces propos sont de Valère Somé mais ne suffisent pas pour saisir tous les aspects de l’homme. Docteur en socio-anthropologie, fondateur de parti politique, ancien ministre sous la révolution d’août 83, Valère Somé fut un acteur majeur de l’histoire politique du Burkina Faso. Dans la présente chronique, nous reviendrons sur l’homme et ses idées politiques, ses combats révolutionnaires et ses déboires, sans oublier les espoirs qu’il nourrissait pour l’avenir du Burkina.
Né le 17 octobre 1950, Valère Dieudonné Somé a fait son cursus scolaire en Haute Volta avant de le poursuivre dans une école à Gorée, au Sénégal. Une école que Senghor avait ouverte pour accueillir toutes les sensibilités du monde : tous ceux qui ont quelque chose à apporter pour permettre à la planète d’aller plus loin et de bouger. Valère Somé s’y distingue très vite de par son intelligence vive, un bagage conceptuel solide et une vue holistique des problèmes des sociétés africaines. À en croire à son ami Pr Spero Stanislas Adotevi, c’est au cours d’un débat passionnant sur la clitoridectomie qu’il fut séduit par la force argumentaire de Valère Somé, alors jeune étudiant brillant, avec lequel il a fini par se lier d’amitié. En effet, ce jour-là, dit Adotévi, « le jeune séminariste d’allure beau gosse à fossettes malgré une fragilité apparente tenait en haleine toute l’assemblée qui l’écoutait avec intérêt. L’argumentaire était clair, précis et en appelait à un mode d’appréhension plus holistique. Ne donner à la clitoridectomie qu’une connotation de jouissance uniquement sexuelle, c’est procéder à une définition réductrice de l’acte sexuel qu’on ne situe pas à son vrai niveau ».
Valère Somé continua ses études en France avant de revenir au pays comme socio-anthropologue, chercheur et ensuite fonctionnaire à l’UNICEF. Il ne se limitait pas à la recherche car Valère Somé rêvait d’une transformation sociale et politique profondes de son pays et de toute l’Afrique. Militant engagé, c’est depuis le lycée qu’il s’intéresse aux idées et aux luttes politiques. Il fut un militant de l’UGEV (Union générale des étudiants voltaïques) et ensuite militant de la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire en France). Après ses études, il créa, avec ses amis, le parti Union des luttes communistes (ULC) devenu plus tard Union des luttes communistes reconstruites (ULC-R). Il fut aussi membre du bureau politique du Conseil national de la révolution (CNR) et occupa le poste de ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique de 1986 à 1987.
Valère Somé le révolutionnaire
Valère Somé fut un idéologue majeur de la révolution d’août 83, révolution qui a étonné le monde entier de par le charisme et l’intégrité de son leader. Ses liens avec ce premier leader de la révolution, le capitaine Thomas Sankara, furent de longue date. Valère Somé témoigne à cet effet : « On se connaissait depuis l’enfance. On a fait l’enfance ensemble à Gaoua. Puis, quand il était stagiaire au centre commando à Pau, en France, et moi étudiant activiste au sein de la FEANF, il quittait Pau, descendait à Paris et venait dans ma chambre pour me rendre visite. »
Pour Adotevi, avant la révolution, Valère Somé lui confiait qu’il a des amis officiers qui contrôlaient toute l’armée et qui pouvaient prendre le pouvoir à n’importe quel moment. Après la date du 17 mai, jour fatidique balisant l’avènement de la révolution où Ouagadougou abondait de foules en faveur des jeunes officiers progressistes, Valère Somé dit avoir conseillé à Thomas Sankara de conquérir le pouvoir village après village en proclamant la révolution populaire.
« Le dénouement que Sankara et moi avons envisagé, c’est de faire une guerre populaire généralisée. On estimait que c’était trop facile de prendre le pouvoir en une journée de marche. Il fallait donc marcher en conquérant, village par village, ville par ville. J’ai rempli le coffre de ma voiture de livres pour rejoindre Sankara à son domicile afin que nous rejoignions Pô pour commencer la guerre populaire. Au dernier moment, Henri Zongo et Boukari Kaboré dit le Lion ont chambré Sankara sur cette solution de laquelle ils se désolidarisaient ». Celui-ci a fini par accepter la venue de Pô de commandos du Centre national d’entraînement commando (CNEC) avec le capitane Blaise Compaoré pour sonner la fin du régime de Jean Baptiste Ouédraogo et proclamer la révolution.
Valère Somé est connu pour avoir rédigé le Discours d’orientation politique, la base doctrinale de la révolution. La révolution d’août 83 ne fut pas seulement une révolution de mots et de slogans, ce fut aussi une révolution d’idées. Le Discours d’orientation politique fut la boussole théorique du régime révolutionnaire. Mais Valère Somé estime qu’il n’a pas inventé le DOP car c’est le résultat d’une expérience théorique acquise dans les mouvements d’étudiants. Ce discours qui sera lu le 2 octobre 1983 par le premier leader de la révolution, le capitaine Thomas Sankara, traçait le chemin que devrait prendre le Burkina Faso pour rayonner dans le monde entier.
Cependant, Valère Somé, dans une autocritique de son expérience révolutionnaire, confesse qu’ils ont commis des erreurs sur ce chemin à prendre. L’une de ces erreurs, selon Valère Somé, est contenue dans le Discours d’orientation politique : la dictature comme système de gouvernement. Pour lui, l’option d’un tel système est inscrite sans ambiguïté aucune dans le DOP et ce en conformité avec les principes du marxisme-léninisme. En effet, ce passage dans le DOP illustre clairement que la révolution se voulait une dictature révolutionnaire « quoique que l’on fasse, quoi que l’on dise, elles (les classes parasitaires) resteront toujours égales à elles-mêmes et continueront de tramer complots et intrigues pour la reconquête du « royaume perdu ».
De ces nostalgiques, il ne faut point s’attendre à une reconversion de mentalités et d’attitudes. Ils ne sont sensibles et ne comprennent que le langage de la lutte, la lutte des classes révolutionnaires contre les exploiteurs et oppresseurs des peuples. Notre révolution sera pour eux la chose la plus autoritaire qui soit ; elle sera un acte par lequel le peuple leur imposera sa volonté par tous les moyens dont il dispose et s’il le faut par les armes ». Valère considère que « ce mépris voué à la démocratie bourgeoise a été la cause d’erreurs graves qui ont diminué le crédit de la révolution aux yeux des masses. Il s’en est suivi de nombreuses atteintes aux droits fondamentaux de l’homme : exécution de personnes, licenciement de personnes pour cause de grève, arrestations, détentions et coupures de bourses arbitraires. »
Valère Somé le démocrate
Le 15 octobre 1987, date à laquelle la révolution fut interrompue, a été terrible pour Valère Somé. Il fut séquestré, emprisonné et torturé, avant d’être libéré par les « rectificateurs » de la révolution. Sitôt libéré, il prit la route de l’exil en direction du Congo Brazzaville, puis de la France où il séjournera jusqu’en 1994 avant de regagner le bercail à la faveur de la réconciliation nationale promue par Blaise Compaoré. Depuis l’exil, Valère Somé ne désespère pas pour son pays et continue d’écrire et d’interpeller à travers articles et livres pour un renouveau démocratique. Il publie en 1990 un livre sur les évènements de la révolution : « Thomas Sankara, l’espoir assassiné ».
Il y décrit les faits marquants de la révolution, sa part de vérité dans celle-ci, ses erreurs et malheurs mais aussi l’espoir qu’elle a suscité en Afrique. Depuis la France, il fonda le parti PDS (Parti de la démocratie sociale) et milite pour l’avènement d’une vraie démocratie au Burkina. Avec le PDSU (Parti de la démocratie sociale unifiée), il œuvre pour la réconciliation nationale mais sera déçu de la manière dont la réconciliation a été réalisée par Blaise Compaoré. Revenu au pays, il se jette dans la bataille politique et participe aux élections sans succès.
Après avoir participé activement à l’animation de la scène politique nationale durant tout ce temps, il s’est finalement retranché, préférant se mettre hors des partis politiques, ce depuis 2002, pour mener désormais un combat solitaire. Le 5 novembre 2016, Valère Somé fonde sa propre maison d’édition « Le Millénium » et fait sortir deux tomes de ses recueils de textes politiques. Il se consacra à la recherche à l’Institut des sciences des sociétés (INSS), et publia son livre « Les nuits froides de décembre, l’exil ou… la mort » en 2015. Il a participé activement à la formation des jeunes avant de s’éteindre le 30 mai 2017.
Ernest Compaoré, secrétaire général du parti Convergence pour la démocratie sociale (CDS) présente l’homme en ces termes après sa mort : « Valère restera pour nous un exemple de courage. Contredire Sankara, interpeller Blaise, refuser de composer avec le Front populaire, affronter la détention, la torture et l’exil, revenir dans son pays avec une offre, celle de la réconciliation, il faut être Valère pour le faire ! ».
Réf : recueil de textes politiques, Tome 1.
– Thomas Sankara, l’espoir assassiné
– Site web thomassankara.net. Les confidences de Valère Somé
Wendkouni Bertrand Ouédraogo
Lefaso.net
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