Valls en Martinique : la vie chère a bon dos ! Seule une grande loi de libération et de simplification fiscales réglera durablement le problème. L’édito de Michel Taube
La première journée en Martinique du ministre des Outre-mer, sera presque entièrement consacrée à la vie chère. L’occasion de « poser les bases d’une relation nouvelle, fondée sur la considération et la valorisation », comme l’a confié Manuel Valls à France-Antilles. Celui que nous décrivions, dans un portrait politique, comme le Premier ministre des Outre-mer, annonce un plan de bataille contre la vie chère. Sera-t-il vraiment placé sous le signe de ces termes clés : considération et valorisation ? Rien n’est moins sûr !
Le premier message que pourrait délivrer Manuel Valls à son arrivée en Martinique pourrait être, tout d’abord, de condamner avec force les violences qui ont émaillé le mouvement de la vie chère à l’automne dernier (où en sont les instructions pénales des 200 plaintes d’habitants et d’entreprises dont les biens ont été détruits et les solutions de réassurance ?) et de confirmer définitivement, – histoire de ne pas nuire au climat de ces trois jours tant attendus ici -, que Manuel Valls ne rencontrera pas celui qui a pris le vrai enjeu de la vie chère comme prétexte pour semer la haine, la terreur et provoquer un mouvement insurrectionnel en Martinique.
Dire la vérité
Mais puisque la vie chère sera au centre de la visite ministérielle, ne faudrait-il pas enfin arrêter de mentir à nos chers concitoyens de Martinique ? Il faut se rendre à l’évidence : le panier de la consommatrice martiniquaise ne changera guère dans les prochaines semaines.
L’accord sur la vie chère, signé le 16 octobre 2024 sous la pression d’un mouvement insurrectionnel ultraviolent, avait certes été salué par tous les acteurs politiques et économiques de l’île. La dissolution du gouvernement Barnier avait retardé la tenue des engagements de l’État, aujourd’hui inscrits dans le budget de la nation pour 2025 en matière de TVA.
Mais il faut être honnête : cet accord, qu’il était certainement nécessaire de signer vu la pression exercée à l’époque, est un marché de dupes. Il ne concerne qu’une partie des produits de grande consommation qui pèse moins de 15% des dépenses globales des ménages martiniquais. Ramené à la totalité des dépenses, cet accord aura un impact de… 1% sur le pouvoir d’achat des Martiniquais. Un résultat à la Pyrrhus obtenu au prix d’une grave détérioration du tissu économique local dont les effets catastrophiques n’ont pas fini de se faire sentir.
Pire, osons le dire : si Manuel Valls confirme aujourd’hui des mesures dirigistes de contrôle et de suspicion sur les entreprises martiniquaises, il va se passer dans les années à venir ce qui s’est passé au lendemain des mouvements sociaux de 2009, à savoir un puissant mouvement de désinvestissements internationaux et nationaux aux Antilles, plongeant un peu plus ces territoires de la Caraïbe française dans la décroissance économique et démographique.
Affronter la question sociale par le bon bout
En Martinique, comme dans l’ensemble de la France, la réalité est que pour résoudre l’équation de la vie chère (ou du pouvoir d’achat au niveau national), il faut se poser la question sociale dans les bons termes : comment créer de la richesse, de l’emploi, de la formation pour augmenter les revenus et comment sortir d’un assistanat mortifère et dispendieux ?
Aucune des réponses dirigistes, réglementaires, normatives ne fonctionnera : elles seraient toutes contraires non seulement au libre marché mais surtout à un capitalisme responsable créateur de croissance sans laquelle la Martinique se serait déjà effondrée vu ses handicaps structurels et cet assistanat maladif.
Cessons donc d’inventer un rapport de force contre de supposés profiteurs du système, lesquels sont juste les principaux créateurs d’emplois, les acteurs de la responsabilité environnementale et sociétale de l’île et les mécènes de la création culturelle et artistique martiniquaise.
Dans la même interview à France-Antilles, Manuel Valls précise : « Ma démarche n’est pas celle d’un procureur qui cherche des coupables mais celle d’un ministre qui veut des résultats. Je crois en l’entreprise et sa capacité à créer de la valeur et des emplois. » C’est le jour J pour le prouver, Monsieur le ministre !
Confiance ? Bien sûr qu’il faut développer la concurrence (quel chef d’entreprise en aurait peur ?), bien sûr qu’il faut développer les productions locales et les marchés caribéens (la Martinique vient d’adhérer à la Communauté caribéenne, dite Caricom).
Mais les Martiniquais ont surtout besoin que l’État compense les handicaps structurels de l’île (et les gabegies de certains élus locaux), comme c’est le cas pour tous les autres Outre-mer : éloignement de l’Hexagone, petitesse des marchés, fonctionnariat et assistanat dispendieux, gestion locale catastrophique, notamment de la Collectivité Territoriale de Martinique.
Manuel Valls affirme que les Ultramarins sont des Français à part entière ? Mais cette reconnaissance passe par des politiques audacieuses et concrètes qui corrigeraient les difficultés spécifiques qu’ils rencontrent au quotidien. Cela suppose des aménagements fiscaux et réglementaires ambitieux, capables de lever les freins structurels au développement économique et social de ces territoires.
Plutôt que de maintenir des mécanismes inefficaces, l’État doit créer un cadre qui favorise réellement la croissance et la prospérité des Outre-mer. Il faut en finir avec des mesures politiques inadaptées qui jouent souvent un rôle d’étouffement des initiatives, des investissements et, in fine, du bien-être des Ultramarins.
Une grande loi Valls des Outre-mer d’ici le 30 juin ?
Soyons plus précis : pour répondre durablement et en profondeur à l’équation de la vie chère, ce ne sont pas des bouts de rustine ou de sparadrap, ou des mesures dirigistes contenues dans les propositions de loi de l’Assemblée Nationale voire du Sénat, qui changeront la donne puisque les raisons de ce déficit social sont structurelles. C’est plutôt la logique de Micheline Jacques, présidente de la délégation aux Outre-mer du Sénat, qui propose une loi d’adaptation du droit aux Outre-mer, à la fois plus modeste en termes de communication mais plus ambitieuse dans ses effets, dont Manuel Valls pourrait s’inspirer.
Dans les pas du dernier Comité interministériel des Outre-mer, dont les pouvoirs publics sont loin d’avoir tiré toutes les conséquences, celui que pilotera Manuel Valls doit être celui de l’adaptation du droit et des bonnes pratiques et de la relance économique. Nous pensons par exemple aux acteurs martiniquais et guadeloupéens de la banane française qui réclament à bon droit de pouvoir produire plus.
S’il veut laisser sa trace dans l’histoire des Outre-mer, que Manuel Valls ose proposer d’ici le 30 juin et le rendez-vous d’étape qu’il a lui-même fixé aux Ultra-marins une grande loi des Outre-mer, qui pourrait revêtir deux volets : 1. simplification du droit français et européen aux Outre-mer et choc régalien (nous en parlerons mercredi) et 2. libération et simplification fiscales des Outre-mer.
Sur le volet économique et fiscal, une grande loi de défiscalisation orientée vers les investissements et la création d’emplois financerait, comme c’est le cas en Corse, la continuité territoriale et instaurerait une zone franche globale des Outre-mer, telle que l’avait suggéré le premier ministre François Bayrou lui-même pour Mayotte.
Contre l’octroi de mer qui enrichit des collectivités mal gérées et nécessite une profonde réforme, une nouvelle fiscalité simplifiée et tournée vers le développement économique boosterait les économies ultramarines et augmenterait naturellement les revenus et donc le pouvoir d’achat de la ménagère. Voilà qui donnerait du baume au cœur à tous les entrepreneurs et convaincrait les jeunes ultramarins de métropole de revenir dans leur terre natale.
La justification juridique, politique de cette grande loi fiscale, un chef d’entreprise, Cyril Comte, nous l’a confiée en proposant que la France attribue la clause de la nation la plus favorisée aux Outre-mer. Selon le président du Groupe Citadelle, « cette mesure viserait à obtenir les meilleures conditions du marché pour les opérateurs économiques locaux en imposant à tous les fournisseurs opérant sur le territoire national d’accorder aux Outre-mer les mêmes conditions préférentielles que celles appliquées aux acteurs les plus favorisés sur le marché hexagonal. Cette réforme permettrait une baisse des coûts et donc une amélioration des prix pour les consommateurs ultramarins. »
En fin politique, Manuel Valls saura trouver les arguments pour contourner les résistances des hauts fonctionnaires de Bercy et de la rue Oudinot, et rallier François Bayrou ainsi que les ministres de l’Économie et des Comptes publics à une grande loi Outre-mer.
Mais au-delà des batailles institutionnelles, c’est sa vision et sa détermination qui feront la différence. S’il saisit pleinement les défis à relever et refuse de céder à la facilité des boucs émissaires – qu’il s’agisse des élus locaux, des entrepreneurs ou du poids de l’histoire coloniale –, il pourra s’affirmer comme le stratège clé dont les Outre-mer ont besoin. En assumant une approche audacieuse et fédératrice, il a l’opportunité unique d’inscrire ces territoires dans une intégration pleine et entière à la France, tout en respectant et valorisant leurs spécificités et leur identité propre.
S’il le veut vraiment, Manuel Valls peut transformer cette ambition en réalité et marquer durablement l’histoire de la France d’Outre-mer.
Tout le monde sera fier d’être Ultra-marin et Français, notamment la consommatrice de Martinique qui verra sa fille ou son fils ramener un bon salaire dans une entreprise créée par sa progéniture, pour fêter Pâques en famille comme il se doit, et non par WhatsApp interposé avec 5 heures de décalage.
Michel Taube
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