La semaine dernière au Sénat lors des questions au gouvernement, Manuel Valls – de retour au pouvoir sous la casquette de ministre des Outre-mer – a déclaré vouloir relancer l’étude de l’exploitation des hydrocarbures en Guyane. Une annonce réitérée ce lundi sur Franceinfo. Or, la France s’était engagée il y a moins de deux ans, lors de la COP28, à sortir des énergies fossiles. La recherche et l’exploitation de nouveaux gisements dans ce territoire colonial avaient été interdites par la loi Hulot de 2017, adoptée deux ans après la signature des Accords de Paris visant à limiter les émissions de gaz à effet de serre. Une loi cosmétique et inapplicable qui proscrivait néanmoins la délivrance de nouveaux permis de recherche d’hydrocarbures et exigeait la fin des exploitations des concessions déjà existantes d’ici à 2040.
La relance d’un tel projet en Guyane a aussi de quoi interroger compte tenu de l’histoire des explorations dans les fonds marins de la colonie. En 2011, le consortium de majors pétrolières avec Shell en tête (45%) aux côtés de Tullow Oil (27,5%), Total (25%) et Northpet (2,5 %), annonçait la première découverte de pétrole au large de la colonie dans la zone du permis d’exploration « Guyane Maritime ». Cette découverte, à la suite d’un forage du puits Zaedyus mené par le géant britannique Tullow Oil, avait suscité l’espoir des grands groupes et de l’Etat français de voir la Guyane se transformer en un nouvel Eldorado pétrolier avec la perspective (lointaine) d’une production de milliards de barils. Mais les forages qui ont suivi se sont tous soldés par des échecs. Seul le premier forage avait donné des résultats positifs mais insuffisants pour justifier à lui seul une demande d’exploitation : « Le système d’hydrocarbure est prouvé, mais en quantité insuffisante pour passer en concession », comme le résumait une porte-parole de Shell. Après plusieurs campagnes d’exploration infructueuses de 2011 à 2016, année de l’expiration du permis du consortium pétrolier, les groupes ont fini par tirer un trait sur la Guyane.
Tous, à l’exception de Total. En septembre 2017, la major pétrolière française a obtenu la prolongation du permis d’exploration « Guyane Maritime » jusqu’en juin 2019, faisant d’elle la dernière du consortium à forer dans les fonds marins de la zone économique exclusive (ZEE) guyanaise. Une autorisation qui intervient l’année même de l’adoption de la loi hydrocarbures portée par Hulot. Mais en 2019, après de nouveaux forages sans résultat probant, Total annonce mettre un terme à son tour à la recherche d’hydrocarbures exploitables en Guyane : « Nous sommes au regret de constater que les résultats obtenus ne permettent pas de confirmer le potentiel pétrolier de la zone. Total va donc rendre le permis » annonçait le groupe.
Pourquoi Valls propose-t-il aujourd’hui de relancer la recherche et l’exploitation pétrolière en Guyane, presque 6 ans après le retrait de Total et les échecs à répétition des campagnes d’exploration, et au risque de mettre à nu l’inconséquence des engagements de l’Etat en matière climatique ?
Le plateau des Guyanes, nouvel eldorado de l’or noir
Le renouveau de l’intérêt de l’Etat français pour les fonds marins de la ZEE de sa colonie continentale s’inscrit dans le contexte de récentes découvertes de gisements d’hydrocarbures au large du Guyana et du Suriname, dans les eaux du plateau des Guyanes. Le 20 mai 2015, la découverte d’un gisement de pétrole par la multinationale américaine ExxonMobil dans la ZEE guyanienne a fait de l’ancienne colonie britannique le nouveau géant pétrolier de l’Amérique du Sud. Depuis, une vingtaine de découvertes se sont succédé. Le pays, dont les réserves en pétrole sont estimées à 11 milliards de barils, pourrait devenir le quatrième plus gros producteur d’or noir offshore au monde d’ici 2035 [1].
Quelques années plus tard, le Suriname se transforme à son tour en Eldorado pétrolier pour les multinationales. Depuis début 2020, les découvertes de gisements d’hydrocarbure ne cessent d’attiser l’intérêt des grands groupes. Parmi eux, TotalEnergies qui a annoncé en septembre 2023 investir dans un projet pétrolier à plus de 9 milliards de dollars dans l’ancienne colonie hollandaise, avec l’objectif d’exploiter 200 000 barils par jour.
De leur côté, le Brésil et son géant pétrolier Petrobras avancent dans le projet d’extraction pétrolière à l’embouchure de l’Amazone à la frontière de l’Etat français, dans une région à fort potentiel pétrolier. La production estimée pourrait aller jusqu’à 10 milliards de barils.
C’est dans ce contexte qu’intervient l’annonce de Valls sur la Guyane. Alors que les pays voisins de la colonie départementalisée multiplient les campagnes d’exploration et les découvertes de gisements d’hydrocarbures, l’espoir du ministre de l’Outre-mer de faire de la colonie française un « petit Qatar » d’Amérique du Sud – à l’instar du Guyana et du Suriname – renait. Malgré la levée de boucliers d’organisations écologistes et de la ministre de la Transition écologique, la proposition reçoit un large soutien de parlementaires et plus particulièrement d’élus guyanais. Des élus qui voient dans la loi Hulot et l’interdiction d’explorer les fonds marins, un verrou colonial empêchant les Guyanais d’exploiter leurs propres ressources et mettant sous cloche un territoire dont le développement économique est freiné par l’Etat français.
Dès 2017, Gabriel Serville, aujourd’hui président de l’Assemblée de Guyane, dénonçait vivement l’application en Guyane de cette loi qui selon ses termes, allait « bride[r] le développement de nos territoires ultra-marins pour se racheter une conscience sur la scène internationale et jouer aux bons élèves de la croissance verte alors même que ces territoires sont non-industrialisés, peu peuplés et participent de façon anecdotique au réchauffement climatique ».
Ces mêmes argumentaires sont aujourd’hui en partie repris par les députés autonomistes de la Gauche Démocrate et Républicaine (GDR) Davy Rimane et Jean-Victor Castor, principale figure de la cause autonomiste en Guyane et dirigeant du Mouvement de décolonisation et d’émancipation sociale (MDES).
C’est ainsi que Valls se plait à présenter le projet de relance de l’exploration pétrolière en Guyane avant tout comme une réponse aux aspirations des Guyanais : « Tout ce que je demande, c’est qu’on écoute les élus, qu’on écoute la population » déclarait-il à FranceInfo. Le ministre des Outre-mer serait-il devenu un fervent défenseur de la cause autonomiste ? Derrière ses déclarations, il reste à déterminer à qui profite réellement le projet de relance de l’exploration pétrolière et, plus largement, le développement de l’industrie extractive en Guyane.
Le développement de l’industrie extractive en Guyane : un projet au service de l’impérialisme français et des grands groupes
L’annonce de Valls intervient quelques jours après qu’il a été interpellé par le sénateur socialiste guyanais Georges Patient lors des questions orales au Sénat, qui dépeignait en ces termes la situation dans la colonie : « Le taux de pauvreté y est de 53 % au lieu de 15 % au niveau national. Pourtant la Guyane possède de nombreuses ressources naturelles (pétrole, or, fer, bauxite, diamant, terres rares, bois, ressources halieutiques et potentiel agricole) dont l’exploitation pourrait fournir un socle productif solide qui permettrait un développement économique au profit de la nation tout entière ». La proposition du sénateur de développer l’ensemble de l’industrie extractive en Guyane et de lever les verrous pour permettre aussi bien la relance de la recherche d’hydrocarbures que l’exploitation des mines de la Montagne d’or et de la Montagne de Kaw, ne pouvait que trouver un écho favorable à l’Elysée et au ministère des Outre-mer.
La déclaration de Valls s’inscrit en effet dans le projet plus large du gouvernement de développer l’ensemble de l’industrie extractive en Guyane. Une colonie dont l’Etat considère, depuis son occupation, qu’elle est sous-exploitée au regard des ressources dont regorgent ses terres et ses eaux. Sur le volet de l’exploitation aurifère, malgré les contestations – à l’image de la mise à l’arrêt du projet de mine industrielle Montagne d’or porté par un consortium russo-canadien –, Macron a annoncé qu’il voulait accélérer son développement pour exploiter les gisements primaires d’un territoire qui compterait parmi les plus grandes réserves d’or au monde. Une ressource qui, pour l’heure, est principalement exploitée par les filières dites illégales : chaque année, elles produisent 10 tonnes d’or contre 2 tonnes d’or légales. Tout en renforçant l’opération Harpie et la traque militarisée des orpailleurs illégalisés, l’Etat entend faire de chaque site d’exploitation clandestin des mines insérées dans la filière légale.
Longtemps cantonnée à une exploitation alluvionnaire, le développement de l’extraction minière à échelle industrielle en Guyane attire les compagnies minières étasuniennes, canadiennes, françaises ou encore russes qui sont de plus en plus nombreuses à se voir accorder des permis d’exploration aurifère. Mais les multinationales minières ne se partagent pas seulement le gâteau du marché de l’or.
Le sous-sol guyanais regorge aussi de coltan, un minerai hautement stratégique au vu des tensions qui pèsent sur son approvisionnement, et dont 80% des réserves mondiales sont concentrées en République Démocratique du Congo, où la menace d’une guerre régionale témoigne du caractère stratégique du contrôle de ces minerais critiques, prisés par les Etats-Unis et la Chine.
Alors que l’on assiste à une montée des rivalités entre les puissances impérialistes et à l’exacerbation des tendances militaristes croissantes, les ressources minières attisent la convoitise des puissances impérialistes, comme l’illustre le cas de l’Ukraine et le conflit autour de l’accaparement de ses minerais par les Etats-Unis, qui entendent vassaliser totalement l’économie ukrainienne. Dans ce contexte, la course aux minerais critiques (vitaux pour des secteurs stratégiques tels que l’aérospatial, la tech ou encore la défense et l’armement) entre grandes puissances bat son plein, chacune cherchant à assurer son indépendance stratégique face à la montée des tensions géopolitiques et au recours de plus en plus fréquent aux stratégies de « coercitive economic statecraft » (introduction de taxes douanières, restrictions à l’exportation ou encore embargo sur des terres rares).
C’est dans ces coordonnées que s’inscrit le développement de l’industrie minière en Guyane, qui recouvre des enjeux majeurs pour l’impérialisme français, plus vulnérable dans le domaine de l’approvisionnement en minerais stratégique et soucieux de réduire sa dépendance à l’égard d’autres puissances impérialistes et régionales en la matière. [2]
Au-delà des ressources minières, l’approvisionnement en hydrocarbure est aussi au centre des préoccupations de la France (comme des autres puissances européennes tout aussi vulnérables en la matière), qui est dépendante à 99% au sujet des importations de pétrole et de gaz pour sa consommation. Le potentiel pétrolifère de la ZEE guyanaise et les espoirs ravivés par les découvertes de gisements d’hydrocarbures dans les eaux du plateau des Guyanes devraient donc rapidement amener l’Etat français à réaccorder des permis d’exploration des fonds marins aux majors pétrolières.
Le projet de relance des recherches et de l’exploitation d’hydrocarbures, tout comme le développement de l’industrie minière, ne répondent ainsi aucunement pour l’Etat français à des préoccupations pour le développement économique de la Guyane, qui viserait à sortir ses habitants d’une misère structurelle dans une colonie toujours marquée par un taux de pauvreté record presque 80 ans après sa départementalisation. Les classes exploitées et opprimées, notamment les peuples autochtones et les milliers de travailleurs illégalisés, de Guyane ne verront pas la couleur de l’or noir, tout comme la classe ouvrière du Guyana attend toujours les retombées de la rente pétrolière de ce nouveau « Qatar », essentiellement captée par la multinationale ExxonMobile dont le chiffre d’affaires est 20 fois supérieur au PIB du pays.
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