Vers un embrasement régional du conflit au Soudan ?

Parmi les conflits oubliés de ce monde, la guerre qui fait rage au Soudan arrive très certainement en tête de liste. Également sous le radar, le Soudan du Sud vit lui aussi un regain de tensions politiques depuis quelques semaines. L’annonce de l’administration Trump, la semaine dernière, qu’elle révoquait l’ensemble des visas détenus par des Sud-Soudanais sur son territoire est cependant la preuve que le conflit est en voie de se détériorer dans toute la région. 

Au Soudan, depuis près de deux ans maintenant, les généraux Abdel Fattah al-Burhan, chef de l’armée, et Mohamed Hamdane Daglo, dit « Hemedti », chef des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), se disputent le pouvoir dans une guerre ouverte — après des années de mésentente à la tête de l’ancien gouvernement de transition.

Le bilan de ces deux ans n’est guère réjouissant. Selon ce que rapportent l’ONU et plusieurs ONG, les deux côtés commettent des crimes de guerre et les craintes de génocide au Darfour se font une nouvelle fois entendre. Ces organismes estiment que des dizaines de milliers — si ce n’est une centaine de milliers — de personnes sont mortes et que 20 % de la population soudanaise, d’environ 50 millions d’habitants, a fui, dont au moins quatre millions dans les pays avoisinants. Notamment le Soudan du Sud.

Malgré l’indépendance acquise en 2011, le passé et la géographie de cette jeune nation semblent la rattraper. Les tensions politiques s’intensifient. Ce qui fait craindre un nouvel embrasement dans la région, qui pourrait catapulter la crise au Soudan — « plus grave crise humanitaire du monde », selon l’ONU — vers de nouveaux sommets.

Ironie de l’histoire, les tensions politiques au Sud sont semblables à celles du Nord. Comme au Soudan, le même type d’affrontement se retrouve au cœur de la guerre de pouvoir qui se dessine : celle entre deux leaders opposés, hissés à la présidence et la vice-présidence du gouvernement de transition après l’accord de paix de 2018.

Les estimations concernant le conflit qui a secoué le Soudan du Sud de 2013 à 2018 parlent de près de 400 000 morts. Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a pressé tous les acteurs, à la fin mars, de ne pas « tomber dans le gouffre » d’une nouvelle guerre civile au Soudan du Sud. Mais l’affrontement entre le président, Salva Kiir, et son vice-président, Riek Machar, semble de plus en plus inéluctable depuis l’arrestation de ce dernier, et de ses proches, par des forces loyales au président, le 26 mars 2025. Pour le clan Machar, cette arrestation est venue mettre fin à l’accord de paix de 2018. 

Puis il y a eu cette annonce des États-Unis, qu’on peut officiellement classer parmi les pays anti-immigration avec le retour au pouvoir du président Donald Trump.

Selon le secrétaire d’État américain, Marco Rubio, si l’ensemble des visas sont révoqués, c’est parce que le Soudan du Sud refuse de rapatrier ses ressortissants que les Américains tentent d’expulser. Mais puisque les États-Unis vont également annuler toute délivrance de visa jusqu’à nouvel ordre, il est permis de penser que le gouvernement de Donald Trump cherche surtout à s’assurer de ne pas avoir de Sud-Soudanais sur son territoire en cas d’éclatement du conflit : cela leur offrirait une raison pour demander refuge aux États-Unis.

Plusieurs Sud-Soudanais pourraient également voir leur « statut de protection temporaire », acquis sous Joe Biden, ne pas être renouvelé au moment de son échéance, le 3 mai prochain.

Le débordement soudanais au Soudan du Sud

Le Soudan du Sud est resté épargné jusqu’à tout récemment du conflit des deux dernières années chez son voisin. Mais c’est tout de même celui-ci qui explique le contexte des tensions renouvelées et interethniques entre le président Kiir, du peuple dinka (plus importante communauté du pays), et le vice-président Machar, du peuple nuer (deuxième communauté en importance au Soudan du Sud).

Selon une analyse du Crisis Group, un groupe de réflexion sur la sécurité mondiale établi à Bruxelles, le premier élément tient au fait que le Soudan du Sud a perdu les deux tiers de ses revenus nationaux lorsque son principal pipeline pétrolier, qui traverse le Soudan vers Port-Soudan sur les rives de la mer Rouge, a été endommagé dans les combats entre les forces soudanaises et les FSR.

Même si l’accord de paix de 2018 n’a jamais été très solide, cette perte de revenus a eu un effet dévastateur sur le système mis en place par le président Kiir, qui utilisait l’argent du pétrole pour maintenir son gouvernement au pouvoir. 

Ce manque à gagner, dans un pays déjà en situation économique précaire et sous pression avec l’arrivée de près d’un million de réfugiés venus du Soudan, a permis tant à al-Burhan qu’à Hemedti, avec qui Kiir devait négocier pour la réparation du pipeline, de faire pression sur le Soudan du Sud.

Le gouvernement du Soudan du Sud s’est aussi retrouvé aux prises avec le mécontentement de sa population, étant incapable de verser certains salaires alors qu’une crise alimentaire était déjà bien présente. Cela a nourri des rumeurs d’affrontements entre les leaders Kiir et Machar, qui ont forcé le président à déployer sa milice dans les rues de la capitale dans les derniers mois.

Comme l’explique François Sennesael, doctorant en sciences politiques à l’Université d’Oxford, au Royaume-Uni, dans une analyse parue sur le site Afrique XXI (un média indépendant consacré au continent africain), « exit le projet d’État illibéral, place à la survie du régime » et à « une véritable purge de Kiir pour rester au pouvoir ». Et d’après le Crisis Group, il est « plausible » que ce soit l’argent des Émirats arabes unis, proche soutien des FSR, qui ait finalement fait changer de camp le gouvernement sud-soudanais dans ses relations avec le Soudan.

Ainsi donc, début mars, lorsqu’on a commencé à entendre des affrontements à la frontière entre les deux pays, ce qui a ravivé de vieux souvenirs des conflits interethniques entre les Dinka, la communauté du président Kiir, et les Nuer, la communauté du vice-président Machar, on a compris que l’élargissement du conflit soudanais se rapprochait. D’un côté avec l’« armée blanche » et des milices de l’ethnie nuer proches de Machar, qui s’en sont prises à une base militaire sud-soudanaise, et de l’autre avec des affrontements entre ces mêmes milices et les FSR pour tenter d’amener l’opposition au président Kiir officiellement dans le conflit.

L’armée soudanaise pourrait ainsi réactiver ses vieilles tactiques de division et renouer ses anciens liens des années 1990 avec certaines milices de la communauté nuer pour bloquer la présence des FSR. Ce qui ferait basculer dans le gouffre de la guerre les deux pays et risquerait de diviser non seulement le Soudan et le Soudan du Sud, mais aussi l’ensemble de la région, vu le cercle d’alliances de chacune des parties.

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