Zion. L’Insoumission.fr publie un nouvel article de sa rubrique « Nos murs ont des oreilles – Arts et mouvement des idées ». Son but est de porter attention à la place de l’imaginaire et de son influence en politique avec l’idée que se relier aux artistes et aux intellectuels est un atout pour penser le présent et regarder le futur.
Ce premier long-métrage de Nelson Foix est un acte de confiance dans la vie et le cinéma. La vie en ce qu’elle contient et requiert de courage, d’amour et de dignité. Le cinéma comme art global du récit, de l’image, du jeu, de la lumière et de la musique. « Zion », c’est l’histoire de Chris, un jeune guadeloupéen. Engagé comme beaucoup dans une spirale de déboires et de petites défaites. Engrené dans un cycle de trafics pour survivre. De plus en plus violents.
Dans une île partagée. Entre la guerre des gangs, pour la maîtrise du commerce et du territoire. Et la lutte sociale pour le pouvoir d’achat et la dignité. Face aux forces de l’ordre de la métropole colonisatrice. Chris en est l’épicentre. Il doit faire face aux tempêtes successives d’une acceptation coupable d’un acte délinquant. Avec un bébé trouvé une nuit sur le pas de sa porte. Entre entrave et porte-bonheur. Pour une rédemption ? Notre article.
« Quand on porte un enfant, on ne connaît pas la longueur de la route » – Proverbe Bamileke
La fiction, les mythes et les religions regorgent d’histoires d’enfants destinés à sauver l’humanité. Ou à le tenter. Zeus, nourrisson, délivre ses cinq frères et sœurs avalés par leur père Chronos. Et crée l’Olympe ! Tout droit sorti de « La liberté guidant le peuple » de Delacroix, Gavroche a 7 ans quand il aide son père à s’évader de prison. À peine plus de 10 quand Hugo écrit sa mort dans Les misérables sur la barricade de la rue de la Chanvrerie, pendant l’Insurrection républicaine à Paris en juin 1832.
Autre enfant miraculeux, des plus connus, Jésus-Christ. Il hante la Guadeloupe et le film de Nelson Foix. Croix, Sainte-Vierge et autres icônes. Mais on ne voit pas trop ce qu’il a sauvé ici. L’injustice et la misère règnent. Les emplois ne courent pas les rues. Surtout pour les plus jeunes. Les HLM où l’eau ne coule pas à 100 mètres de la mer, côtoient les bidonvilles. La solidarité peine à se produire quand chacun est déjà à l’os.
La vie chère a suscité les révoltes. La déréliction régit les vies. Les pharaons ne sont pas là et les prophètes sont clochardisés. En arrière arrière-plan, le tourisme. Palmiers sur la plage et bateaux de croisière. La carte postale hexagonale presque invisible cette fois-ci. Pour une fois.
« Bâtard est souvent meilleur fils » – Euripide, Andromaque
C’est un autre enfant qui apparaît dans le film. Probablement celui d’une des conquêtes quotidiennes de Chris. Ou une maternité putative ? Un bébé surnaturel ? A la fois kangourou dans une poche Tati et Moïse sauvé des eaux. La fragilité comme force. « Tout change avec le fait d’être père ». Peu importe la vérité biologique. On ne naît pas père, on le devient. L’enfant grandit Chris. L’enfant ne sauve peut-être pas le monde mais un homme. Un homme nait d’un enfant.
Zion, le titre du film, est un prénom. Cela pourrait être aussi le rêve d’un paradis selon le mot rastafari. Zion pour échapper au système d’oppression et à Babylone. Et « La musique quand elle te frappe ne te cause aucune douleur » dit Marley. Zion c’est encore la dernière ville humaine sur terre dans Matrix. Peuplée principalement de noirs. Comme un rêve de libération de l’esclavage. Fuir la machine. On rêve de Zion en enfer. On rêve aussi de carnaval dans « Zion ».
« Je souhaite aux générations futures de vivre en des temps ou l’État sera providence », Maryse Conde, Moi, tituba sorcièe
« Zion » c’est deux histoires parallèles. L’unee Guadeloupe et l’autre universelle. « Zion » c’est d’abord un autre portrait. Celui d’une île – un lieu où parle le monde. Ses combats. La dureté de la vie. « Il existe deux qualités de Guadeloupéens – dit la grande autrice Maryse Condé dans « Le fabuleux et triste destin d’Ivan et Ivana » – ceux qui chôment à l’intérieur du pays et ceux qui végètent à coups de petits emplois en métropole.». La beauté des paysages – même durs – du quotidien. Ses racines qui plongent en Afrique et chez les Kalinagos. Le carnaval avec sa dimension magique.
L’inconscient populaire qui s’y exprime au travers des danses, des costumes et des masques. La musique, soignée tout au long du récit. Le grand percussionniste gwoka Marcel Lollia, dit Vélo. – sa statue à Pointe-à-Pitre ne perd rien de l’histoire. Le portrait de Mandela. Le son de l’actualité au travers des postes de radio ou de TV. L’iguane des Antilles. Impassible. Marque de la nécessaire confiance en soi. Même changeant de couleur au fil de la vie. Le créole assumé comme langue du film. Et les femmes qui font que la société tient encore debout.
« C’est l’histoire d’un homme qui chute de 50 étages : jusqu’ici tout va bien », Mathieu Kassovitz, La Haine
Zion c’est aussi un thriller haletant. Tout y part de la faute de Chris. Comme dans « After hours » de Martin Scorcèse . Difficile de s’en extraire. Autant pour le personnage que pour les spectateurs. Entre poursuites et face à face. Sur qui compter ? Reprendre son souffle dure peu. Une histoire pour retrouver une famille. Pas forcément où on l’attend. Un suspense permanent.
La descente aux enfers de Chris accompagné de son bébé. Une ambiance pesante et explosive. Et des enchaînements de circonstances qui rappellent ces rêves où tout semble vouloir nous empêcher d’atteindre notre but. Dans une société oppressante, l’odyssée moderne de la galère d’un homme pour devenir lui.
« Le cinéma est un mélange parfait de vérité et de spectacle », François Truffaut
C’est émouvant d’assister aux premiers pas d’un cinéaste. On croit deviner ses inspirations dans le cinéma réaliste onirique. L’amour de la nuit de Leo Carax. Ses déclinaisons de bleu capable de toucher subtilement nos sens de spectateurs. Son oreille musicale. Ou la nervosité de Spike Lee. Le peintre urbain et portraitiste des relations humaines. Mais Nelson Foix a son art et son esthétique propres. Images et lumières jeunes d’un jeune cinéaste. Puisées en Guadeloupe. Créolisées au monde et aux cinématographies de notre temps. Il tisse les personnages entre magie et histoire, terreur et quotidien…
Interprétés tous par des acteurs et actrices antillais magnifiques. Jonglant entre les langues et leurs registres. Quelquefois pour la première fois au cinéma. Nelson Foix soigne aussi le son. Il mixe musiques aux accents caribéens, mélodie romantique et rap avec les bruits de la rue et du carnaval, des informations radiophoniques ou télévisuelles. En attendant avec impatience son second film, « Zion» sort le 14 mars aux Antilles et le 9 avril 2025 dans le reste de la France.
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