Né en Seine-Saint-Denis au début des années 1990, Nelson Foix passe les premières années de sa vie en Guadeloupe, avant de retourner en métropole, à Bondy (93), où il grandit. Après avoir raté son baccalauréat, il repart pour la Guadeloupe le passer, puis s’installe à Pointe-à-Pitre avec sa famille, en 2016. Et si le réalisateur en herbe était initialement destiné à une carrière sportive, sa rencontre avec des figures du cinéma comme Euzhan Palcy et Mohamed Hamidi l’oriente vers la réalisation. En 2020, son premier court-métrage Timoun Aw retient l’attention de Jamel Debbouze, qui l’encourage à développer ce projet en long-métrage. Le film Zion, un thriller d’action se déroulant au cœur de la Guadeloupe, voit ainsi le jour et sera en salles le 9 avril.
Il y a des films qui content une histoire, et d’autres qui racontent un territoire, sa mémoire, ses blessures. Zion, premier long-métrage de Nelson Foix, appartient à la seconde catégorie. Oscillant entre fiction et réalité, il capture la complexité de la Guadeloupe à travers le regard de son personnage principal, Chris, un jeune homme en quête d’identité. Loin des clichés de plages paradisiaques, le cinéaste dresse un portrait sans fard d’une île pétrie de tensions sociales et culturelles, tout en préservant son caractère universel.
« Cette histoire est celle de Chris (interprété par Sloan Decombes, ndlr), un jeune homme qu’on suit dans son évolution et son cheminement vers l’âge adulte. Bien que très guadeloupéenne, cette histoire de paternité aurait pu être racontée via le prisme d’autres cultures. J’aurais pu la transposer en Corée, mais ça n’aurait pas été mon histoire. C’était important que le fil de ma narration touche l’humanité. »
Dès les premières images de Zion se dégage un sentiment d’urgence : celui d’un territoire qui cherche à se dire autrement. Nelson Foix explique : « La Guadeloupe est souvent réduite à son imaginaire touristique. Je voulais montrer autre chose, raconter un vécu. » Pour cela, il ancre son récit dans une réalité tangible, celle des luttes sociales, du poids de l’histoire coloniale et des mutations contemporaines.
Sommes-nous vraiment chez nous ?
« Ce paradis, pour les gens de la métropole, c’est aussi l’enfer pour les Guadeloupéens », exprime Foix. L’accès au foncier, aux crédits, aux emplois : tout semble plus facile pour un Français de métropole blanc que pour un local guadeloupéen. « Tous les Antillais peuvent se reconnaître dans ces mots », confie-t-il, conscient que cette réalité génère une frustration profonde.
Et puis, il y a l’eau. Le film s’ouvre sur une scène puissante : Chris fait couler son robinet, mais rien ne sort. Une réalité quotidienne en Guadeloupe, où les coupures fréquentes affectent la vie des habitant·e·s. « Si la Normandie était privée d’eau, le scandale serait immédiat », lance le réalisateur, soulignant l’indifférence structurelle de l’Hexagone envers ses territoires ultramarins.
Le film explore la transmission de la mémoire et les réminiscences du passé. La séquence de filature en plein carnaval en témoigne : « Il y avait cette nécessité de lier l’intime et le collectif, précise Nelson. Mon but était de casser les clichés. Par exemple, le carnaval est une expression identitaire forte. Contrairement à celui de Rio ou même de Martinique, plus axé sur le folklore, celui de la Guadeloupe est très revendicatif. Il s’ancre dans l’histoire et la culture locales : on y trouve des références aux peuples originels, des mas a kongo recouverts de sirop noir sur la peau, ou encore des travailleurs portant des casques de chantier en signe de protestation. »
À travers le parcours de son protagoniste, Zion interroge la place des jeunes générations dans une île où l’avenir semble incertain, et où le chômage et l’exil sont autant de tristes réalités. « Depuis 400 ans, on pourrait se dire que cette terre est devenue la nôtre. Pourtant, il subsiste toujours cette interrogation : sommes-nous vraiment chez nous ? Ce sentiment d’exil n’a jamais totalement disparu, car nous ne sommes pas souverains. Nous ne sommes pas décisionnaires de notre avenir. »
Du réalisme à l’onirisme
Loin d’un naturalisme brut, Zion adopte une approche où le réel se mêle à l’imaginaire. Le film thématise les visions oniriques ; des fragments de légendes créoles viennent enrichir le récit. « La Guadeloupe est un territoire où le visible et l’invisible coexistent », souligne Foix. Tourné en grande partie en lumière naturelle, Zion capte la beauté brute de l’île. Une esthétique qui rappelle le cinéma de Mati Diop, où la contemplation se conjugue avec une tension latente. Cette dimension presque mystique prend vie la nuit pendant le carnaval ; elle inscrit le film dans une tradition mythologique, tout en ancrant son propos dans des problématiques très actuelles. « Le carnaval de Pointe-à-Pitre a lieu en grande partie la nuit, c’est un moment fort de célébration, mais aussi risqué. Chaque année, des règlements de compte ont lieu, des tensions émergent. Je voulais retranscrire cette dualité fondamentale. » Quant aux personnages secondaires, ils semblent être de la lignée d’Aphrodite tant ils transpirent la vérité et brillent de mille feux. C’est le cas d’Odell, qui sortait juste de prison au moment du casting.
Zion ne cherche pas à apporter de réponses définitives. Il ouvre des brèches, questionne, trouble. C’est un film qui, selon Nelson Foix, « invite à regarder la Guadeloupe autrement », à écouter ses silences et ses colères.
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Zion : au cinéma le 9 avril 2025.
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