Le traumatisme de la pandémie est encore difficile à digérer pour Gisèle Doiron-Bernard. Ce virus a emporté brusquement sa mère en octobre 2020. À l’époque, on savait peu de choses du virus à part sa virulence. Lorsque Rita Doiron est transférée à l’hôpital en ambulance, une employée de l’Extra-Mural fait cette proposition à Gisèle.
Elle a dit : « si tu veux voir ta mère une dernière fois, rencontre-nous dans le parking lot de son appartement parce que ça sera probablement ta dernière chance. »
Elle aperçoit sa mère prendre place dans l’ambulance, mais à distance. C’est la dernière fois qu’elle voit sa mère en personne.
Rita Doiron (à gauche) et sa fille Gisèle Doiron (à droite) étaient très proches.
Photo : Gracieuseté
Après six jours à l’hôpital, Rita Doiron perd son combat contre la COVID sans n’avoir pu serrer aucun proche dans ses bras. À l’époque, les hôpitaux du Nouveau-Brunswick sont formellement interdits aux visiteurs. Mais Rita passe sa dernière semaine à communiquer avec sa famille grâce à un téléphone et une tablette.
Dans le moment, on savait quel beau cadeau qu’on avait, même si on ne pouvait pas être là. C’était quasiment un miracle qui se passait. Elle était bien réveillée. La plupart des gens qu’on entendait étaient sous respirateur
, se remémore Gisèle Doiron, qui dans son malheur arrive à voir la chance qu’elle a pu avoir de profiter de sa mère jusqu’à ses derniers instants.

Gisèle Doiron-Bernard et sa mère Rita Doiron s’appelaient tous les jours et pouvaient discuter durant des heures.
Photo : Radio-Canada / Guy Leblanc
Mais ensuite, son deuil est alourdi par les mesures sanitaires dans les salons funéraires qui limitent les contacts. Le temps n’a pas effacé la douleur pour Gisèle Doiron. Aujourd’hui encore, elle éclate en sanglots lorsqu’elle évoque cette période. Pour elle, le virus a emporté une de choses les plus précieuses : une partie de sa famille.
L’importance des communications
Lorsque la COVID-19 fait son apparition au Nouveau-Brunswick, le Dr John Tobin est chef de département à l’hôpital d’Edmundston. Il comprend rapidement que les mesures sanitaires sont mal comprises par la population. Il utilise alors les réseaux sociaux pour les vulgariser.

Le Dr John Tobin, le 4 octobre 2021, par visioconférence.
Photo : Radio-Canada
Il fallait donner ces consignes-là aux gens. […] J’étais un peu à ma façon un intermédiaire entre cette information-là et les gens
, se souvient-il.
À plusieurs moments, il a craint de ne pas avoir assez de ressources pour soigner tout le monde.
Mettons qu’au pire de notre situation, il ne fallait pas que ça empire.
Il est convaincu que les mesures sanitaires et la vaccination ont permis à son hôpital de se tirer d’affaire.
Une coupure entre les communautés
La COVID-19 a aussi séparé des populations. Pendant 500 jours, le Nouveau-Brunswick est isolé du reste du pays. Les visiteurs du Québec, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard doivent s’arrêter à des postes frontaliers. Pour rentrer, il y a des règles à suivre, qui changeront plusieurs fois. Sauf exception, il faut s’auto-isoler 14 jours avant de pouvoir circuler dans la province.

Des contrôles le 1er août 2020 près du pont J. C. Van Horne, qui relie Campbellton, au Nouveau-Brunswick, à Pointe-à-la-Croix, au Québec.
Photo : Radio-Canada / Martin Toulgoat
Une coupure difficile à avaler pour le Restigouche. Pointe-à-la-Croix et Listuguj, au Québec, sont alors coupées de sa ville sœur, Campbellton.
Avant ça, on pouvait traverser le pont d’une façon ou d’une autre. On ne se posait pas la question
, se souvient Michel Soucy, qui est maire d’Atholville à l’époque, aujourd’hui intégrée dans la municipalité régionale de Campbellton.
Le Restigouche est aussi séparé du reste du Nouveau-Brunswick à plusieurs reprises. Cette région est aux premières loges de l’arrivée de l’épidémie. La première éclosion se produit dans un foyer de soin de la région :le Manoir de la vallée d’Atholville. C’est aussi là où le premier mort causé par la COVID est recensé dans la province. À l’époque, Michel Soucy se serait bien passé de l’attention que sa municipalité recevait.

Michel Soucy était maire du village d’Atholville quand la pandémie s’est déclenchée.
Photo : Radio-Canada / Serge Bouchard
Il y avait beaucoup d’émotion et d’anxiété. Les caméras étaient braquées sur Atholville.
Il est persuadé que l’impact économique de la fermeture du pont Van Horne se fait encore sentir aujourd’hui et que des Québécois ont pris l’habitude durant la pandémie de rester chez eux pour leurs achats. C’est une des raisons qui motive la région à vouloir obtenir le prochain congrès mondial acadien.
On peut démontrer à la grande famille acadienne que l’on est peut-être dispersé et divisé par une baie, mais on est lié par un pont.
Combattre l’isolement
Certaines familles ont fait preuve d’inventivité pour que la COVID ne les sépare pas.
Pour le premier Noël en temps de COVID, Fernand Bélanger a une idée pour accueillir sécuritairement son fils Éric qui habite à Montréal : il transforme la maison familiale d’Edmundston en grosse bulle de plastique.

Éric Bélanger juste avant l’ouverture de la bulle de confinement qui l’a séparé pendant deux semaines de ses parents, Denise et Fernand.
Photo : Courtoisie d’Éric Bélanger
Éric Bélanger passe ses 14 jours d’isolement de son côté des bâches de plastique. Il garde de beaux souvenirs de ces moments passés avec ses parents.
La vidéo du moment où sa quarantaine prend fin et qu’il peut enfin quitter sa bulle est devenue virale à l’époque. C’était à ce moment, une manière de pouvoir sortir de son isolement sans se faire juger par le voisinage.

La famille Bélanger joue aux cartes.
Photo : Capture d’écran d’une vidéo d’Éric Bélanger
Il y avait beaucoup de gens qui disaient : je ne veux pas de Montréalais qui viennent à Edmundston nous donner la COVID. Là je me suis dit : « on va faire une publication. Il n’y a personne qui va vous questionner. »
Encore aujourd’hui, des inconnus interpellent parfois les Bélanger en leur parlant de la bulle.
Retour aux sources
La COVID-19 a aussi eu un effet secondaire inattendu au Nouveau-Brunswick : une hausse de la population. Des milliers de Canadiens venus d’ailleurs au pays ont décidé de faire de l’Acadie leur maison, pour profiter des paysages, de la quiétude, et d’un marché immobilier à bas prix.
Pour Luc et Marie-Paul Doucette, c’est un retour au bercail. Ils jugent qu’après près de 20 ans passés dans différentes grandes villes des Maritimes puis à Montréal, c’est l’occasion de retourner dans leur Rogersville natal et y ouvrir un café.
J’avais ce sentiment-là de vouloir me rapprocher de l’Acadie. On fêtait le 15 août. On consomme pas mal de culture acadienne à Montréal. Mais ce n’est pas la même chose
, explique Luc Doucette.

Luc Doucette et Marie-Paule Deveau en 2021.
Photo : Gracieuseté/Marie-Paule Deveau et Luc Doucette
Un déménagement rendu possible grâce au télétravail qui permet à Marie-Paul Doucette de conserver son emploi.
Finalement, une fois la poussière retombée, le couple quitte Rogersville. Ils trouvent un juste milieu qui leur ressemble davantage en déménageant à Moncton.
Cette belle parenthèse là où l’on est rentré à la maison, à côté de nos parents, a fait que l’on a abouti ici et l’on est content. On a retrouvé un peu de notre style de vie urbain que l’on aimait
Marie Paul Doucette
Ils ne s’étonnent donc pas de voir des familles d’ailleurs au pays qui ont déménagé pendant le confinement rebrousser chemin.
Quelles leçons?
Cinq ans plus tard, il reste encore des traces de cette pandémie aussi bien morale que physique. Mais si personne ne souhaite revivre cet épisode, le docteur Tobin espère que la province sera davantage prête si une nouvelle épidémie devait se produire.
A-t-on appris avec la COVID? Je pense que oui. Va-t-on rester avec un système de santé qui peut prendre ça en main? J’espère.
Gisèle Doiron, elle, utilise son deuil brisé pour nourrir son propre rôle de mère. Je suis vraiment proche de mes enfants et je pense que ça vient de ma mère parce que moi et elle on était assez proches.
Le décès précipité de sa mère lui a aussi donné le goût de profiter de ses proches et du moment présent, sachant qu’il peut être fugace.
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