Cette semaine, notre chroniqueur Richard Dourthe (50 ans, 31 sélections) estime que le Tournoi écoulé a fait basculer le XV de France dans une autre dimension. Est-ce forcément une bonne nouvelle, à deux avant du Mondial ?
J’ai ressenti un truc étrange samedi soir, devant ma télévision. J’ai eu l’impression, en fait, que l’émotion au stade n’était pas proportionnelle à ce que venaient d’accomplir les Bleus. Je peux me tromper, bien sûr ; mais il me semble que le grand public s’attendait à cette victoire, à ce trophée et qu’en l’état, le job est fait, point barre. Le « job est fait », nom de Dieu ? Mais connaissez-vous seulement la difficulté de remporter un Tournoi, qui plus est lorsqu’il est lesté de trois déplacements ? Prenez-vous conscience à quelles turpitudes on s’expose quand on voyage à Twickenham, à Dublin ou même à Rome, la dernière performance italienne contre l’Irlande ayant largement prouvé que la squadra était moins inoffensive qu’on aurait bien voulu le croire il y a trois semaines, soit le jour où les Bleus avaient fait passer l’Italie pour quantité négligeable ? De mon côté, je n’oublie donc pas que le XV de France a collé quarante points à chacun de ses adversaires, au fil de ce Tournoi 2025. Je n’oublie pas, non plus, qu’il fut battu par bien plus faible que lui à Londres (26-25) et que sans ce revers tenant plus du malentendu que de la gifle, j’écrirais aujourd’hui sans me tromper que la sélection tricolore est à mes yeux invincible…
Et quoi ? Elle possède en la personne de Thomas Ramos le meilleur buteur de la planète : puisque Vincent Moscato me surnommait « Riri la godasse », je propose qu’on dénomme l’arrière actuel « Thom la grolle d’or ». Elle a aussi avec Louis Bielle-Biarrey l’ailier le plus rapide au monde, un avion de chasse que je devrais pourtant détester après qu’il a dépossédé mon vieux pote Philippe Bernat-Salles de son record d’essais marqués dans le Tournoi. Elle a pour elle le luxe d’avoir pour capitaine le meilleur joueur du monde, le plaqueur le plus discipliné du circuit (François Cros) et le pilier le plus dense de l’histoire (Uini Atonio). À ces mecs-là, je greffe enfin l’invraisemblable abattage de Yoram Moefana, le seul joueur, avec « LBB », ayant disputé les cinq matchs de la compétition dans leur intégralité. Moefana ? Après s’être longtemps cherché, il a désormais compris qu’il n’est jamais aussi fort que lorsqu’il joue sur ses forces, pète dans la ligne avec appétit, colle un caramel à son vis-à-vis et roule sur Finn Russell pour aplatir un essai magistral. Vous voulez connaître le fond de ma pensée ? On n’a jamais eu une équipe de France aussi forte : ni en 1995, ni en 1999, ni en 2011, soit les années où notre pays se hissa pourtant en finale de coupe du Monde…
Le temps de l’analyse…
A tout vous dire, je ne vois donc qu’un seul danger menaçant aujourd’hui l’avenir à court terme de cette équipe de France : deux ans avant la coupe du Monde, elle va incarner aux yeux des autres la bête à abattre, la montagne à renverser. Ses adversaires vont la voir comme un idéal à approcher, un Everest auquel se mesurer ; ils vont la considérer de la même façon dont ma génération envisageait en son temps les All Blacks. J’exagère à peine et me dis, finalement, qu’il va se passer mille choses dans le rugby international jusqu’à ce que ne soit donné le coup d’envoi du prochain Mondial. L’Afrique du Sud, l’Irlande, l’Angleterre et l’Australie vont ces prochains mois prendre le temps de l’analyse et disséquer morceau par morceau le nouveau système offensif du XV de France. Y trouveront-ils forcément une parade ? On est quelques millions à espérer que non…
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