Le rock, une musique qui n’a jamais cessé d’être noire

Allon McCall est le batteur de EchoSeven, un groupe de musique rock de la région de Moncton au Nouveau-Brunswick.

Parce qu’il est noir, lorsque cet homme originaire de la ville New York se déplace avec son groupe de rock, sa présence, quand elle n’est pas ignorée, étonne les amateurs de ce genre de musique.

Je suis le gars qui vit entouré de tambours. Suis-je le machiniste, suis-je la sécurité ? Qui suis-je ? Personne ne fait le lien, explique-t-il.

Les gens font cette supposition parce que ce n’est pas la norme, malheureusement, pour une personne d’une minorité visible de faire partie de la scène rock métal, surtout ici dans les Maritimes.

Arrivé au Canada il y a bientôt 25 ans, Allon McCall a fondé le groupe EchoSeven à Moncton en 2017 avec le guitariste Justin Larracey. Il écrit les chansons, joue de la batterie, s’occupe de la promotion du groupe et des questions financières.

Peu de gens pourtant le savent et le musicien s’amuse toujours de l’étonnement que son rôle suscite parfois auprès de certains organisateurs de concerts.

Certaines personnes se sont parfois adressées à mon guitariste ou à un chanteur pour parler affaires et mon groupe dit, non, vous devez parler avec lui [Allon]. C’est lui le responsable, nous ne nous occupons pas de ça, indique-t-il.

C’est amusant. C’est un peu mon moment d’extase. Parce qu’ensuite c’est avec moi qu’il faut parler.

Allon McCall précise cependant que, passé ce moment d’étonnement, sa présence ne pose jamais question ensuite. Il estime que la scène rock métal des Maritimes est extrêmement bienveillante.

Je pense que la scène musicale actuelle est l’une des plus cohérentes, des plus aimables et des plus solidaires des Maritimes, indique-t-il.

Nirvana : le choc musical

Allon McCall ne se fait cependant pas d’illusions. Il est parfaitement conscient de l’extrême rareté des personnes noires à l’intérieur des formations rock.

Durant son enfance, le rock n’était d’ailleurs pas le genre le plus en vogue dans le quartier new-yorkais de South Bronx où il a grandi. La tendance était plutôt au Hip Hop.

Allon McCall admet d’ailleurs être aujourd’hui encore un admirateur de certaines des figures les plus importantes du rap telles que DMX ou encore le Wu-Tang Clan.

Il n’en demeure pas moins que le rock est sa musique de prédilection et c’est la découverte du groupe Nirvana durant son adolescence qui l’a propulsé dans cet univers.

Je me souviens qu’un jour, je suis rentré de l’école. J’avais 14 ans. Je suis allée regarder la télévision dans le salon. J’ai allumé MTV et Smells Like Teen Spirit passait. Je me suis arrêté devant la télé, j’étais figé, explique-t-il.

C’était ça. Kurt [Cobain] vous savez, la tristesse, la colère, tout ce qu’il mettait dedans, ça a fait tilt. Et je n’ai jamais regardé en arrière.

La passion de l’artiste musical, qui s’estime désormais aussi bien canadien qu’Américain, n’a fait que grandir depuis ce moment-là.

Même s’il a produit des artistes hip-hop dans le studio qu’il possède à Riverview, il ne parvient à exprimer sa propre créativité qu’à travers le rock.

Tu ne peux pas faire du métal […] et être raciste

Allon McCall connaît l’imaginaire qui gravite autour de l’univers rock, trop souvent associé aux pensées d’extrême droite.

Malheureusement, il y a l’esthétique, surtout dans le punk rock et le métal. Il y a ce genre d’esthétique de skinheads blancs, ce qui est malheureux parce que le genre n’a pas été créé pour ça, s’attriste-t-il.

Je le dis encore aujourd’hui et comme je le dirai toujours, on ne peut pas être métal, rock ou punk et être raciste.

Pour lui, ce sont des personnes qui se battent contre le système qui sont à l’origine de la musique rock, et les noirs sont nombreux dans ce cas, affirme-t-il.

Il va plus loin en affirmant que le but initial du rock est d’exprimer de la colère. Le genre ne peut donc avoir été fondé qu’avec le concours de personnes qui avaient de la colère à exprimer.

Si vous ne vivez pas dans les quartiers défavorisés et que vous ne vivez pas cette vie, comment pouvez-vous créer le genre du rap ? Si vous n’avez pas de lutte à mener et de douleur dans laquelle puiser, comment créez-vous du métal et du rock ?, interroge-t-il.

Si vous n’avez pas de lutte à raconter, vous n’écrivez pas sur la lutte. […] Les artistes noirs écrivaient sur la douleur et le chagrin d’amour, les relations amoureuses et tout le reste.

Le rock : une musique noire?

Allon McCall dit se sentir tout à fait légitime et parfaitement à sa place en tant qu’homme noir lorsqu’il fait de la musique rock.

Je suis quelqu’un qui a sa place ici parce que les fondations ont été posées par des gens qui me ressemblent, martèle-t-il.

Jack Hamilton ne lui donne pas tort. Spécialiste des musiques populaires des 20e et 21e siècles, il est professeur à l’Université de Virginie.

En 2016, il a publié le livre intitulé Just Around Midnight: Rock and Roll and the Racial Imagination.

Il y revient sur les raisons pour lesquelles le rock and roll – un terme qu’il interchange avec celui de rock – s’est considérablement délesté des artistes noirs au fil du temps alors que le genre même émane des musiques noires.

Le rock and roll est principalement issu du rhythm and blues, de la musique danse électrifiée des Noirs américains de l’après-guerre, indique-t-il.

Selon le professeur, des jeunes blancs ont commencé à acheter en grande quantité du rhythm and blues au début et dans le milieu des années 1950, une musique faite par des artistes noirs qui appartenaient à un environnement et parfois aussi à une génération différente de la leur.

Il note la montée en puissance à cette époque-là d’artistes tels que Chuck Berry, Little Richard, Elvis Presley, Buddy Holly, Jerry Lee Lewis, Fats Domino dont le style est clair clairement inspiré du rythm and blues et qui sont les précurseurs de la musique rock telle qu’on la connaît aujourd’hui.

Jack Hamilton fait remarquer qu’à ses débuts, le rock and roll est une musique hautement inclusive. Elle ne se blanchira qu’au fil des années au point que, regrette-t-il, des artistes tels que Jimi Hendrix aient fini par apparaître comme des exceptions de musiciens noirs faisant de la musique rock.

Le professeur note qu’aussi bien hier qu’aujourd’hui, des artistes noirs tels que Diana Ross, Aretha Franklin, Sam Cooke, Otis Redding, Lenny Kravitz ou encore des groupes tels que Living Colour et Fishbone sont le signe que les artistes noirs n’ont jamais cessé de faire du rock même s’il y en a de moins en moins.