La guerre du M23 au Kivu

Interview avec Dr. Delmond, médecin, ami et collaborateur du Forum Humaniste en République Démocratique du Congo (RDC), sur la situation actuelle dans la région du Kivu, à l’est du pays.

1. ORIGINE ET ÉVOLUTION DE LA CRISE JUSQU’À AUJOURD’HUI

Depuis trois décennies, l’Est de la RDC est en proie à des conflits armés récurrents, résultant d’un ensemble complexe de facteurs interconnectés, notamment des revendications territoriales, des tensions ethniques, des intérêts à la fois locaux, nationaux et internationaux, ainsi que la convoitise des ressources naturelles congolaises.

Le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 et l’afflux massif de réfugiés hutu rwandais, parmi lesquels se trouvaient des militaires armés et des génocidaires fuyant le Front Patriotique Rwandais (FPR), ont marqué le début d’un cycle de violences qui a plongé l’Est du Congo dans l’instabilité. L’installation de ces réfugiés dans des camps proches de la frontière rwandaise, sous l’égide du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), a créé un climat de tensions qui a dégénéré en conflits armés.

Les premières et deuxièmes guerres du Congo (1996-2003), initialement qualifiées de guerres de libération, ont vu l’implication directe du Rwanda, de l’Ouganda et de leurs alliés contre la RDC, qui bénéficiait du soutien d’autres États africains. Ces conflits ont entraîné des déplacements massifs de populations, des massacres et des violations graves des droits de l’homme, documentés notamment par le Rapport Mapping des Nations Unies, sans jamais aboutir à des poursuites judiciaires.

L’accord de paix de Sun City en 2002 a permis une intégration partielle des groupes rebelles dans l’armée congolaise, le partage du pouvoir et la reconnaissance de certaines communautés rwandophones comme citoyens congolais. Toutefois, le Rwanda a continué à soutenir certains groupes rebelles pour maintenir son influence dans la région et exploiter les ressources congolaises, sous prétexte de lutter contre les génocidaires de 1994 et de protéger les populations rwandophones du Kivu.

Parmi ces groupes, le CNDP (Congrès National pour la Défense du Peuple) de Laurent Nkunda et le M23, formé en 2012 sous la direction de Bosco Ntaganda et Sultani Makenga, ont joué un rôle majeur dans l’instabilité de la région. En novembre 2012, le M23 s’est emparé de Goma, provoquant une réaction internationale qui a abouti à son retrait et à des négociations à Kampala. Après plusieurs mois de combats, l’armée congolaise a défait le M23 en novembre 2013.

Toutefois, en novembre 2021, le M23 a repris ses activités armées et, dès 2022, a intensifié ses attaques dans le Nord-Kivu. Le 26 janvier 2025, il a de nouveau occupé Goma après de violents affrontements avec les FARDC et leurs alliés (SAMIDRC, MONUSCO, Wazalendo, et certaines sociétés de sécurité privées).

La crise humanitaire s’aggrave de jour en jour, avec des pénuries critiques d’eau, de nourriture et de médicaments. Plus de 3 000 personnes ont perdu la vie et des dizaines de milliers ont été blessées.

2. TUERIES ET CRIMES DE GUERRE

De nombreux crimes de guerre et crimes contre l’humanité ont été documentés dans ces conflits. Les populations civiles sont confrontées à des massacres, des viols de masse, des tortures, des disparitions forcées et des déplacements massifs.

Des organisations comme Human Rights Watch (HRW) et Amnesty International accusent le M23 d’exécutions sommaires, de recrutements forcés, y compris d’enfants-soldats, et de viols systématiques. L’ONU a dénoncé ces crimes et également pointé la responsabilité d’autres groupes armés dans ces atrocités.

3. LES RESSOURCES NATURELLES AU CŒUR DU CONFLIT

Malgré les discours politiques, le principal moteur de ces conflits reste l’exploitation des richesses naturelles de la RDC, notamment le coltan, le cuivre, le cobalt et l’or. Le M23 contrôle plusieurs mines stratégiques et exporte illégalement ces minerais via le Rwanda.

D’après un rapport de l’ONU, le M23 tire près de 800 000 dollars par mois du commerce illégal de coltan, financçant ainsi ses opérations militaires.

4. LES MULTINATIONALES ET LE COMMERCE DES « MINERAIS DE SANG »

Les « minerais de sang », comme le coltan, sont essentiels à l’industrie électronique mondiale. La RDC a déposé une plainte contre Apple en 2024 pour recel de crimes de guerre et blanchiment. De nombreuses entreprises occidentales sont accusées de bénéficier indirectement du commerce illicite des minerais de la RDC via le Rwanda.

En février 2024, l’Union européenne a conclu un accord avec le Rwanda pour le développement des chaînes d’approvisionnement en matières premières critiques, ignorant que ces ressources proviennent majoritairement du sol congolais, ce qui soulève des accusations de néocolonialisme économique.

5. LA SITUATION DE LA POPULATION À GOMA

La vie reprend progressivement son cours à Goma. Après des jours d’affrontements, les habitants de Goma ont plus que jamais besoin d’aide humanitaire. Les marchés commencent à rouvrir permettant aux habitants de se ravitailler, mais l’agglomération a été privée d’eau, d’électricité et d’internet pendant plusieurs jours. La famine sévit dans la ville et les localités environnantes et la malnutrition se manifeste dans la population.

Cette situation exacerbe la crise humanitaire et augmente le risque d’éclosion et de propagation du choléra et d’autres maladies hydriques. Près de deux millions de personnes, populations locales et personnes déplacées, vivent ainsi dans une situation d’extrême vulnérabilité.

« Au nord de la ville, les camps de personnes déplacées ont été en partie désertés et certains ont été pillés, entraînant des mouvements de population. Certains sites se sont complètement vidés en l’espace de quelques heures lors des affrontements avant d’être réinvestis quelques jours après. De la même manière, de nombreuses personnes ont peur d’une relocalisation forcée et se déplacent entre les sites ».

Dans ce contexte, les communautés sont aussi exposées à de nombreux risques de violence. La grande précarité des populations et le contexte d’insécurité augmentent les risques d’abus et d’exploitation économiques et sexuelles de femmes et d’enfants.

Lors des combats à Goma, plusieurs entrepôts de stockage d’ONG ont été vandalisés et pillés. La destruction d’infrastructures de santé critiques, aggrave une situation déjà désastreuse pour des millions de personnes. La situation demeure tendue et imprévisible, et les besoins en matière de santé sont considérables.

L’OMS reste sur le terrain et a continué à répondre aux besoins sanitaires en apportant des fournitures médicales vitales et un soutien aux personnels de santé et en coordonnant la riposte d’urgence. Les hôpitaux et les morgues sont débordés. Les infections des plaies présentent un risque pour ceux qui n’ont pas pu parvenir rapidement aux établissements de soins de santé, et ces derniers commencent à manquer de fournitures nécessaires pour le nettoyage et la désinfection.

Plus de 70 (soit 6 %) établissements de santé du Nord-Kivu ont été touchés, certains étant complètement détruits et d’autres peinant à reprendre leurs activités. Certaines ambulances ont également été endommagées. A certains endroits, les agents de santé ont dû fuir, tandis qu’ailleurs, d’autres comme l’humaniste Dr Johnny Kasangati  travaillent 24 heures sur 24 pendant des jours, au péril de leur vie.

Le cancer, le diabète, l’hypertension, la santé mentale et d’autres services courants sont également touchés, car le stock de médicaments est épuisé et les agents de santé sont absents ou surchargés. Le risque de décès pendant la grossesse ou l’accouchement a augmenté par rapport à des niveaux qui étaient déjà élevés. La menace des maladies infectieuses s’est multipliée. Le choléra, le paludisme, la rougeole, la méningite, la mpox et la tuberculose figurent parmi les menaces infectieuses qui pèsent sur la zone.

La récente décision des États-Unis d’Amérique de geler l’aide étrangère a un impact considérable sur les opérations de secours en République démocratique du Congo. L’année dernière, les États-Unis avaient contribué à hauteur de 70 % dans le cadre de la riposte humanitaire dans le pays. Ceci inquiète les responsables en charge de la réponse humanitaire.

La population traumatisée attend de l’assistance humanitaire. Ainsi, les décisions des chefs d’État de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) et de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC), à Dar Es-Salaam, le 8 février 2025 qui sont entre autres la cessation des hostilités, le cessez-le-feu sans condition, l’ouverture de l’aéroport de Goma et des voies d’approvisionnement terrestres et lacustres, et le rapatriement des corps des victimes et blessés sont porteurs d’espoir.

Au sein de la population congolaise, une éducation civique et citoyenne de qualité est essentielle afin que chacun connaisse ses droits et assume pleinement ses responsabilités, notamment lors des élections. Il est crucial d’élire des dirigeants engagés dans le développement du pays, incluant la consolidation d’une armée forte et capable de défendre efficacement la nation. En effet, la mauvaise gouvernance et un leadership faible ont considérablement fragilisé la RDC.

Il est également indispensable de promouvoir des valeurs propices au développement, telles que l’amour du travail, la paix, la justice pour tous, le respect des droits humains, l’inclusion sociale et une redistribution équitable des richesses nationales. La population doit aspirer à la paix, à la réconciliation entre les communautés, ainsi qu’à la justice sociale.

Encourager l’émergence et l’engagement des humanistes dans la politique et la gestion des structures de la société civile constitue également une étape cruciale vers un changement positif.

6. CE QUE PEUT FAIRE LA POPULATION POUR CHANGER OU AMÉLIORER LES CHOSES EN RDC

Au sein de la population congolaise, une éducation civique et citoyenne de qualité est essentielle afin que chacun connaisse ses droits et assume pleinement ses responsabilités, notamment lors des élections. Il est crucial d’élire des dirigeants engagés dans le développement du pays, incluant la consolidation d’une armée forte et capable de défendre efficacement la nation. En effet, la mauvaise gouvernance et un leadership faible ont considérablement fragilisé la RDC.

Il est également indispensable de promouvoir des valeurs propices au développement, telles que l’amour du travail, la paix, la justice pour tous, le respect des droits humains, l’inclusion sociale et une redistribution équitable des richesses nationales. La population doit aspirer à la paix, à la réconciliation entre les communautés, ainsi qu’à la justice sociale.

Encourager l’émergence et l’engagement des humanistes dans la politique et la gestion des structures de la société civile constitue également une étape cruciale vers un changement positif.

7. CE QUE PEUVENT FAIRE LES HUMANISTES D’AUTRES PAYS AFRICAINS

La solidarité des humanistes d’autres pays africains est précieuse. Le partage d’expériences et le soutien de ceux ayant traversé des situations similaires sont d’une grande importance.

Dans cette optique, les humanistes africains peuvent :

  • Contribuer aux plaidoyers pour la paix et la sécurité des Congolais, soutenir l’aide humanitaire afin de sauver des vies et réduire la vulnérabilité des populations touchées par la crise, y compris les réfugiés en Ouganda, et œuvrer à des solutions durables.

  • Mener des actions de lobbying contre l’achat des « minerais de sang » congolais par des multinationales, l’Union Européenne et certains gouvernements favorisant cette exploitation illégale.

  • Soutenir les humanistes congolais dans leur intégration aux structures de décision politique et de la société civile afin d’amplifier leur influence et leur capacité à initier des changements concrets.

  • Accompagner les humanistes de la RDC dans leurs efforts de plaidoyer, de lobbying et de mobilisation de ressources, tant en Afrique qu’au niveau international.

Pressenza, Lundi 10 Fevrier 2025

 

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